Allo, 117?
Depuis que le Cameroun est en guerre contre Boko Haram, la population ne tarit plus d’éloges à l’endroit de nos forces armées qui, soit dit en passant, font de l’excellent boulot du côté de l’extrême-nord du pays. Cependant, nous sommes tellement focalisés sur le bon grain qui combat les terroristes, que nous oublions que l’ivraie est restée avec nous dans les centres-villes.
Tout à l’heure, vers 2h30, je me suis réveillé en sursaut, comme alerté par un sixième sens. Au salon, ma petite sœur, qui s’était réveillée longtemps avant pour lire un peu, me dit d’une voix blanche: « On est en train d’agresser quelqu’un ici en bas ! » Effectivement, en tendant l’oreille, j’entends des cris stridents qui transpercent mon cœur et déchirent la nuit. C’est, tour à tour, une femme et, il me semble, un enfant qui hurlent. Prudemment, j’ouvre la fenêtre et je jette un coup d’œil dehors. Par miracle, Enéo n’a pas coupé le courant et les lampadaires éclairent la rue.
La rue en bas de chez moi est vide. En revanche, je perçois les cris avec plus de clarté, et ces hurlements ne me rappellent pas de bons souvenirs. N’écoutant que mon courage, et me souvenant de la bravoure de nos forces armées, j’attrape immédiatement mon téléphone et je compose le numéro d’urgence de la police, le 117. Ça sonne longuement, mais personne ne prend. Je réessaye. Ça sonne, mais personne ne prend. Je reste donc condamné à écouter, impuissant, les cris d’une concitoyenne qui, pourtant, à le droit d’être protégée par la police de son pays.
Agression dans les environs de mon quartier, des cris de femme déchirent la nuit… J'ai appelé le 117 en vain #Insécurité #Team237 #Yaoundé
— willfonkam (@petit_ecolier) June 11, 2015
Je me souviens qu’il y a un peu plus de cinq ans, je vivais dans un quartier de Yaoundé régulièrement « visité ». Un soir vers 21 heures, des cris provenant on ne sait d’où nous ont donné l’alerte que quelque chose de louche se tramait. Par réflexe, j’ai dégainé mon téléphone et appelé le renfort. Cette fois-là, on a décroché. Après m’avoir fait décrire la situation et localiser notre position, on m’a dit, « Okay, on arrive ne vous inquiétez pas. » Ils ne sont jamais venus.
Qui a dit à nos forces de l’ordre que leur travail se limitait à siscia* les taximen sur les routes pour leur prendre 500 francs? Les agressions se sont multipliées à un rythme inquiétant dans la zone où je vis. Pouvait-il en être autrement avec une police aussi laxiste que celle que nous avons? Je me le demande. D’ailleurs, ce n’est pas un fait nouveau.

A l’époque où j’étais étudiant à l’École Normale Supérieure de Bambili dans le Nord-Ouest du Cameroun, les braquages, agressions et viols étaient très récurrents. Une nuit, les gars sont arrivés avec le sang à l’œil, et ont commencé à opérer vers 23 heures. À 3 heures du matin, ils n’étaient pas encore partis. Nous avions déjà appelé la police qui s’était plaint de manque de carburant dans les voitures et d’insuffisance d’effectif disponible.
Je me souviens que ce matin-là, après le départ des braqueurs, les étudiants ont engagé un mouvement pour exprimer leur ras-le-bol: il ne se passait pas une semaine sans qu’on ne braque dans une cité. Nous avons donc bloqué la route principale et avons organisé une marche vers Bamenda.

En moins de temps qu’il faut pour le dire, Bambili était envahi par les hommes en tenue, lourdement armés qui se sont donné la peine de tabasser et même d’embarquer quelques étudiants. Les jours qui suivaient, quelques policiers patrouillaient dans le village (en réalité, la patrouille consistait à faire le tour des bars de « Three Corners », un carrefour situé à l’entrée de Bambili et très éloigné des résidences qui étaient régulièrement braquées).
C’est triste à dire, mais au Cameroun, nous – le petit peuple – ne sommes pas en sécurité. La police, malgré le budget du Ministère de la Défense (9 milliards alloués au carburant en 2013), n’a jamais de carburant dans ses voitures, ni d’effectif disponible. C’est même possible qu’ils n’aient plus de récepteur pour qu’on les joigne au 117 (surtout si on les appelle pour un vol ou pour un braquage). Après ça, comment le peuple ne se rendra pas justice lui-même?
_____
Siscia : intimider, exercer abusivement son pouvoir
Commentaires