Le mariage traditionnel au Cameroun, un véritable parcours du combattant
Quand une amie m’a appelé pour m’annoncer qu’elle se mariait ce weekend, je n’ai pu m’empêcher de lui adresser mes félicitations. Mais surtout, j’ai félicité son mari – que je ne connais pas encore. Au Cameroun, pour se marier, il faut être courageux, car ici chez nous, c’est un vrai challenge, que d’épouser une demoiselle.
Un long processus
En règle générale, le mariage ne se fait pas sur un coup de tête ici chez nous. Les choses doivent être programmées, planifiées, organisées… Les gens doivent être informés. On ne se lève pas un beau matin pour se marier. Pas au Cameroun, en tout cas, car le tout n’est pas d’aller à la mairie signer un acte. Ici, tant la cérémonie traditionnelle n’a pas eu lieu, le mariage est inexistant. C’est tout un programme d’épouser une fille ici chez nous. C’est parfois très intéressant – sauf pour celui qui vient épouser la fille.
Toquer à la porte
Avant toute chose, le futur gendre doit rencontrer la famille de la fille, officiellement. Pour cela, il doit venir rencontrer le père de sa future épouse – pas bras ballants hein, avec un « Quatre Côtés » une sorte de whisky conditionné dans une bouteille carrée – pour lui signifier son désir de rencontrer la famille entière pour leur annoncer sa candidature officielle. Le père est donc investi de la lourde mission de rassembler la famille pour que le prétendant se présente. C’est cette cérémonie de présentation qu’on désigne sous le vocable de « Toquer à la porte ».
Ce jour-là, le gendre doit venir avec quelques membres de sa famille, ou bien des amis. Et surtout, il ne doit pas venir les bras ballants. Oh, pas grand-chose, juste quelques cadeaux pour la belle famille. On va faire comment, il faut faire bonne impression. Pour ce jour là donc, il faut penser à apporter un sac de riz, des filets de poisson (Bars corvina de préférence), quelques casiers de bières et de jus, des boîtes d’allumettes, etc. Trois fois rien, comme je disais. Après avoir annoncé le gendre qui se présente à la famille, le père de la jeune femme lui passe la parole pour qu’il puisse donner la raison de sa visite à la famille entière. Après que ce soit fait, on passe au 11e point. On mange, on boit, on rit. Et juste avant de se séparer, le chef de famille remet au gendre « la douloureuse », la liste des choses qu’il faut pour la dot. Conseil : ne jamais ouvrir la liste séance tenante, de peur de tomber en syncope – c’est mon beau père qui me l’a dit.
La demande de la main
Généralement la liste est divisée en deux parties : le nécessaire pour la cérémonie de demande de la main, et la nécessaire pour la cérémonie de la dot. Vous l’avez compris : on peut toquer à la porte, mais ne pas épouser la fille. On peut même demander la main, mais ne pas l’épouser. La recommandation que les chefs de famille font aux gendres est parfois la suivante : « Allez, prenez votre temps. Ne revenez pas ici nous dire que vous avez seulement x porcs au lieu de y que nous avons demandé, ou bien que vous avez n sacs de riz, au lieu de m comme inscrit dans la liste. Vous avez la liste, préparez-vous bien. Nous aussi allons nous préparer à vous recevoir. Et ne revenez que quand vous serez prêts. Notre fille n’est pas une marchandise pour laquelle on discute le prix. »
Le ton est donné, la guerre est déclarée.
Le lendemain, après avoir dessaoulé, vous consultez la liste. Pour la demande de la main, vous n’aurez presque rien à donner. Quelques porcs, des chèvres, de la boisson… La routine, quoi. Ah, et aussi 100.000 franc pour l’avion.
L’avion
Le jour de la demande de la main, après que les choses demandées soient posées au milieu des deux familles qui se font carrément face – une vraie bataille rangée – un membre passe avec un exemplaire de la liste qui vous a été remise scellée et vérifie que rien ne manque. Si c’est bon, on redemande donc au gendre ce qu’il vient faire là. Cette partie, très théâtrale, est conduite par les représentants des deux familles. L’objet de la visite étant donné sous la forme « J’ai vu un beau bananier dans ton champ, que je voudrais emporter », le chef de la famille de la femme se vante de n’avoir que de belles filles, demandant plus de précisions. « Celle que tu veux s’appelle comment ? » Ne faites pas l’erreur de ne donner que son nom. J’avais fait cette erreur là. Et le type de convoquer toutes les ‘Mengue’ de son village. J’en connais même qui ne s’appelaient pas Mengue, mais qui étaient également alignées. Toutes, sauf celle qu’on est venus chercher, bien entendu. Un problème se pose donc : « La Mengue que vous voulez là est très loin. Il faut l’argent pour aller la chercher en avion. » Ici, si vous êtes pressés, donnez les 100.000 cash. Si vous avez le temps de jouer, donnez en tranches de 5 ou 10.000, mais sachez que tant que le montant demandé n’est pas atteint, la promise ne viendra pas.
100.000 francs plus tard, elle est enfin là, radieuse. Le chef de sa famille s’adresse à elle en disant : « Voici un homme qui est venu ici demander à t’épouser. Si tu es d’accord pour le mariage, prends quelques bouteilles parmi celles qu’il a apportées et donne-les moi. Si tu ne veux pas de lui, prends des bouteilles là bas, et remets-les lui, qu’il s’en aille avec ses choses. » Priez qu’elle ait bien compris les instructions… Après que la fille ait remis quelques Castel à son oncle, tout devient officiel, c’est votre future femme. Si vous payez la dot.
Les porcs « longs châssis »
Le soir de la dote, tout se passe généralement de façon très simple, à moins d’être tombé dans une famille très compliquée. Après avoir donné les porcs « longs châssis » désignés ainsi pour leur taille impressionnante (de vrais phacochères, ces longs châssis), les chèvres, les vins, marmites en fonte, filets de bars corvina, décapsuleurs, tire-bouchons, « tais-toi » (verres d’un litre de contenance), allumettes et plein d’autres choses dont je n’ai plus souvenance, le reste c’est juste des formalités culturelles. Puis il y a la bouffe. Rappelez-vous, pendant le « toquer-à-la-porte », ils avaient dit qu’ils allaient se préparer de leur côté. Ce n’était pas du bluff. À boire et à manger pour tout un régiment. C’est la fête.
L’au revoir
Après avoir dansé et bu pendant quelques heures, le chef de famille demande le silence, puis, appelant son beau-fils, le somme d’emmener sa femme, parce que lui, le chef de famille, doit se reposer. On dit que les mariés devaient s’enfuir du village de la femme en courant, parce que si d’aventure la femme était rattrapée par ses frères ou ses sœurs avant d’arriver chez le nouveau beau-frère, la cérémonie allait être annulée et recommencée à zéro. Heureusement, les temps ont changé. On peut, au lieu de courir, entrer dans une voiture et rentrer tranquillement, sans transpirer. Arrivés chez le « beau », les frères et sœurs – oui, ils vous accompagnent jusque chez vous – continuent la fête. Donc vous devez être prêt à les recevoir. À boire et à manger, mais surtout à boire. Après cette fête, ils doivent repartir chez eux. En tant que beau frère valable, et pour leur montrer comment vous allez bien prendre soin de leur sœur, vous devez donner aux femmes un porc, et aux hommes de l’argent pour le « taxi ». Bravo, vous êtes officiellement mariés.
Le mets de pistache
Les mariés, en quittant le village de la femme, reçoivent plusieurs cadeaux, dont des poulets vivants offerts par les sœurs (celles qui rentrent avec le porc), des régimes de plantain, et un énorme mets de pistache. Ce mets, vraiment énorme, est le moyen de sûr de prédire l’avenir du mariage. Au moment de la déguster, s’il n’est pas bien cuit, commencez à vous inquiéter, car c’est la preuve que votre mariage ne va pas durer. Le cas échéant, réjouissez-vous, vous êtes entre de bonnes mains.
Dans les jours qui suivent le mariage, les mariés doivent aller récupérer les têtes de tous les porcs qu’ils ont donnés à la famille pour la dot (parfois plus de 10 têtes !).
Maintenant, vous pouvez aller à la mairie, et à l’église ou à la mosquée si ça vous chante, la tempête est derrière vous.
NOTE : Ce billet, inspiré d’une histoire vécue, décrit les cérémonies telles que pratiquées chez les béti du Centre Cameroun. Cependant, il existe quelques points de convergence avec les cérémonies telles que pratiquées par d’autres groupes ethniques camerounais.
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