Ces [pré]noms qui pèsent trop lourd
La semaine dernière, je regardais pour la deuxième fois cet excellent film intitulé Le Prénom dans lequel des amis se disputent parce que l’un d’eux prétend vouloir, appeler son fils « Adolf », comme Hitler. Les autres ne conçoivent pas qu’on puisse donner à un enfant le prénom d’un tel personnage, à cause des crimes qu’il a commis. Le problème soulevé dans le film, s’il peut apparaître banal à certains, est pourtant d’une importance capitale. Et ça, nos parents, même les jeunes parents, ne semblent pas encore l’avoir compris ici en Afrique.
Observez autour de vous, vous vous en rendrez compte : les prénoms que porte la grande majorité d’entre nous n’ont aucun lien avec le continent. La plupart du temps, on se base sur les personnages de séries télévisées, quelquefois sur les personnages de romans, mais beaucoup plus sur les livres saints, pour attribuer des prénoms à notre progéniture.
L’autre constat que vous pouvez faire, c’est que les prénoms sont plus utilisés que les noms. D’ailleurs, certaines personnes mettent tout en œuvre pour que personne ne sache jamais leurs noms « africains ».
Il y a plusieurs années, j’étais encore très jeune, il suffisait d’appeler un aîné par son « nom du village » pour recevoir de lui une correction à la hauteur de l’offense. Et quand c’était un grand frère qui insultait sont petit frère en l’appelant par son nom, la plainte était vite portée au niveau des parents qui interdisaient immédiatement que l’injure fût répétée.
De plus en plus, on voit des Africains changer l’ordre de leurs noms. C’est désormais le prénom qui vient en premier – contrairement à ce qui est inscrit dans les actes de naissance. Juste pour imiter le modèle européen. Dans les émissions à la télévision, sur les mémoires et les thèses, dans les journaux, ce ne sera jamais écrit Biya Paul, Fame Ndongo Jacques, mais toujours Paul Biya ou Jacques Fame Ndongo…

On ne s’en rend parfois pas compte, mais l’aliénation culturelle passe également par les noms qu’on donne à nos enfants. A cause de la tendance que nous avons à leur donner toujours des prénoms étrangers, lesquels prénoms sont plus utilisés que les noms, les enfants finissent par détester leurs noms qu’ils cachent soigneusement. En le faisant, c’est leur identité, leur culture qu’ils rejettent au profit de celle des autres. Dans certains cas, la tentative de dissimulation de cette identité désormais considérée comme une insulte ou un boulet, passe par le rejet de la langue maternelle et l’adoption de la langue officielle pour tous les échanges.
Pourquoi faut-il toujours emprunter aux autres cultures ce que nous avons en abondance chez nous ? Nous avons suffisamment de noms, de beaux noms, des noms pleins de signification chez nous. Nous avons plein de héros, de grands hommes, de reines illustres, de guerriers invincibles. Nous avons tout cela en Afrique.

Pourquoi donc délaisser ces noms-là, pour affubler nos enfants de noms bibliques, eux qui ne seront peut-être jamais chrétiens ? Pourquoi choisir pour nos enfants des noms étrangers alors qu’ils – nos enfants – sont Africains ? Qui portera nos noms si nous ne le faisons pas déjà nous-mêmes ?
Si nous, Africains, tenons à développer notre identité culturelle et encourager les enfants d’Afrique à être fiers de ce qu’ils sont – de ce qu’ils devraient être -, il est impératif que les noms et prénoms que ces derniers portent, eux aussi, soient des manifestations de cette identité, comme c’est le cas dans la plupart des cultures.
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