Quand le livre tue l’éducation
Quand nous étions plus jeunes, je me souviens que, pour peu que nous voyions un texte imprimé ou saisi à la machine à écrire, pour nous il devenait impossible d’imaginer y trouver des fautes. En plus, nous considérions tout ce qui y était écrit comme vrai. Il faut dire qu’à l’époque de mon enfance, les ordinateurs étaient plus rares que la pluie dans le désert, ce qui conférait un caractère solennel, officiel même, à tout texte dactylographié ou imprimé.
Aujourd’hui, les choses ont changé : chacun peut saisir et imprimer ce que bon lui semble. Cependant, le livre a gardé ce je ne sais quoi de solennel qui lui donne l’avantage sur ce qui est oral. Malheureusement, nos systèmes éducatifs, poreux et corrompus, laissent passer des livres truffés de fautes et d’inexactitudes et qui, sans aucun doute, ne font aucun bien à notre éducation.
Il est presqu’impossible de faire une saisie sans faire une ou deux fautes, et ce malgré les multiples vérifications et relectures qui se font avant l’impression d’un texte. Il m’est arrivé une ou deux fois, en relisant un roman, de retrouver des fautes, des omissions et autres oublis. Cependant, cela n’explique pas le nombre incalculable de « fautes de frappe » qu’on peut relever dans certains livres au programme dans notre système éducatif.

En ce qui concerne l’enseignement du Français langue étrangère (FLE) par exemple, il n’est pas rare de retrouver, dans les livres dont les enseignants et les apprenants se servent, des fautes de frappe grammaticales. Je me rappelle de ce cours que je préparais et qui portait sur le passé composé. Dans le livre, l’exemple qui était donné pour illustrer ce temps verbal était « Je suis fatigué ». Dans un autre livre, c’est une grossière confusion entre adjectif et pronom possessif que les auteurs faisaient.
Dans l’enseignement, il est dit que le livre est un guide, et qu’on ne s’en sert qu’à titre indicatif. Mais ce qu’on semble oublier, c’est que les apprenants n’ont pas autant de connaissances que leurs enseignants. Pire, ils accordent plus de crédit à ce qui est écrit dans leurs livres qu’à ce que les professeurs pourront dire. Plus d’une fois, j’ai reçu des élèves, en guise de justification d’une réponse fausse, la phrase « j’ai vu ça dans le livre, monsieur », comme pour dire le livre ne ment pas, mais le prof peut se tromper.

Et pourtant, il existe au Cameroun une Commission Nationale du Manuel Scolaire, et même un Conseil National d’agrément des manuels scolaires et des matériels didactiques censés étudier et sélectionner les livres à mettre au programme. Je me suis toujours posé la question de savoir quels sont les critères pris en compte pour décider qu’un livre doit être au programme ou pas. J’espère me tromper en pensant que le seul critère c’est le montant que l’éditeur peut débourser pour encourager les décideurs, mais comment expliquer autrement l’abondance dans les listes de manuels scolaires de livres qui, non seulement sont de nature à dérouter l’apprenant, mais en plus mettent parfois l’enseignant dans une position délicate qui le force souvent à se justifier devant les élèves pour qui le livre a toujours raison ! S’il ne le fait pas avec tact, les enfants perdent confiance en lui, et il lui devient impossible de leur enseigner quoi que ce soit.
Le niveau scolaire a beaucoup baissé ces dernières années. Et il continue à dégringoler à une vitesse inquiétante. Paradoxalement, les critères d’évaluation se font de plus en plus légers. Au Cameroun, il est désormais rare de voir des enfants – et même des adultes – qui écrivent ou s’expriment sans fautes. En tant que référence et en tant qu’outil pédagogique, le livre scolaire a une grande part de responsabilité dans cette dégradation de l’éducation, dont les conséquences commencent à peine à se faire ressentir.
Il faut le dire, les commissions en charge du choix des manuels à mettre au programme doivent prendre leurs responsabilités, et s’assurer de la qualité de ce qui est proposé aux éducateurs, mais aussi et surtout aux apprenants. Notre éducation en dépend.
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