La miss, les « blancs » et nous (deuxième partie*)
Hier j’étais chez moi peinard, tout allait bien jusqu’à ce que je tombe sur un lien qu’un de mes contacts sur Facebook avait partagé. Il s’agissait d’un article de Jeune Afrique qui parlait de la bourde qu’une candidate à l’élection Miss RDC avait commise en déclarant, je cite : « Nous le savons tous, ce n’est pas un sujet tabou : l’homme blanc est plus intelligent que l’homme noir ».
What ? Il n’en fallait pas plus pour me gâcher mon après-midi. J’ai pesté, je me suis indigné, j’ai vociféré, traité la demoiselle d’écervelée, d’inculte et de pire encore. Et puis, avec quelques amis blogueurs, on en a discuté, et je me suis rendu compte qu’en réalité, cette candidate ne faisait que traduire avec des mots ce qu’une grande majorité d’entre nous dit d’une autre façon.
En parcourant le net, j’ai constaté que les propos de la candidate en avaient choqué plus d’un. J’ai vu des hashtags créés pour protester, des vidéos sur Youtube, des posts Facebook et des milliers de tweets qui s’indignaient de l’affront subi. Certaines personnes sont même allées jusqu’à réclamer son retrait de la compétition (une pétition a même été créée sur change.org à cet effet).
Tout ça c’est bien beau, mais arrêtons-nous une seconde et observons autour de nous. Observons bien, nous verrons que des Dorcas Dienda (c’est comme ça qu’elle s’appelle), il en a plein dans notre entourage. Ils n’utilisent pas les mots, mais ils disent à leur façon que l’homme blanc est supérieur à l’homme noir.
Regardons par exemple nos sœurs : pour la grande majorité, elles ont tellement honte de leur chevelure qu’elles préfèrent emprunter celle des « blancs », qu’elles achètent à coups de centaines de mille… Si nous nous considérons « noir(e)s et très intelligent(e)s » comme certain(e)s l’ont déclaré sur Twitter et ailleurs, si nous nous sentons égaux aux « blancs » donc, alors qu’on m’explique un peu pourquoi on est incapable de montrer ses cheveux tels qu’ils sont, c’est-à-dire crépus. Les plus courageuses – ou peut-être celles qui n’ont pas les moyens de s’offrir les cheveux importés d’Asie ou fabriqués au Nigéria voisin – font quand même l’effort de se défriser les cheveux ; pour les avoir lisses, comme les blancs (bah oui on avait compris votre manège).
Comme je m’ennuyais un peu, je me suis amusé à parcourir les profils des personnes les plus vindicatives sur les hashtags #DorcasDiendaOut et #ToutSaufMissRaciste. Figurez-vous que certaines demoiselles qui crient sur Dienda mettent des greffes, se décapent, ou les deux. Et elles se disent égales aux « blancs ». J’avoue que j’ai de la peine à comprendre tout ça (je n’ai sans doute pas l’intelligence qu’il faut). Comment peut-on se dire l’égal d’une personne alors qu’en même temps on essaie d’effacer notre nature pour adopter la sienne, et ce au détriment de notre propre santé ?
J'appel au boycott de MissRDCongo si cette jeune fille ne retire pas sa candidature! #DorcasDiendaOut
— Pasta_Mongi (@6a66121cf4f9480) September 1, 2016
Tout ça m’a fait penser à une discussion que j’ai eue avec d’autres twittos camerounais, tous au moins autant intelligents que les « blancs », au sujet des langues nationales camerounaises. Pour la plupart, il n’était pas nécessaire de développer nos langues parce que nous avons déjà le français. L’argument le plus entendu était : « On n’a pas besoin de savoir parler ghomala, béti, duala, bayangui etc pour pouvoir bosser dans les multinationales ».
Après la déclaration de miss Dienda, je me suis demandé si on pouvait réellement se considérer comme étant l’égal, que ce soit en terme d’intelligence ou pas, d’une personne dont on utilise la langue (pourtant on a les nôtres), dont on utilise les prénoms (en cachant soigneusement nos noms), dont on préfère les vêtements (parce que les nôtres font trop villageois), et dont on imite jusqu’à l’accent (au risque de ne pas se faire comprendre par nos compatriotes) ? Soyons sérieux une seconde.
Que ce soit clair, je ne suis pas en train de dire que Dorcas Dienda a eu raison quand elle dit que « l’homme blanc est plus intelligent que l’homme noir », c’est une déclaration dépourvue de bon sens, et j’ai particulièrement apprécié le fait que les autres candidates l’aient contredite avec un argumentaire pertinent. Je dis juste que nous sommes plusieurs à traduire ce qu’elle a dit au quotidien, sans forcément nous en rendre compte.
Parfois, je me dis que Dienda est simplement un bon produit de l’éducation coloniale qui perdure en Afrique. Notre éducation met plus l’accent sur les réalités occidentales que sur les nôtres. Que ce soit en histoire, en géographie, ou en éducation à la citoyenneté les programmes portent plus sur l’Europe et les États-Unis que sur l’Afrique, à croire que nous formons nos jeunes pour les exporter. Jusqu’aujourd’hui au programme de littérature française, il y a plus d’œuvres écrites par des Français. Pourtant il existe tellement d’auteurs africains qui produisent des œuvres de qualité.
L’homme blanc n’est certainement pas plus intelligent que l’homme noir (la couleur de peau n’étant pas un critère fiable pour déterminer le degré d’intelligence d’un individu). Mais pour que nous, les Hommes noirs, nous en rendions compte, il est indispensable de mettre en avant ce qui fait notre spécificité, il est indispensable de renforcer notre identité, il est indispensable de développer notre culture. C’est tout ça qui montre notre intelligence. Autrement, nos enfants, leurs enfants et même les enfants de leurs enfants, se lèveront chaque matin en pensant comme miss Dienda et comme plusieurs d’entre nous, qu’ils sont moins intelligents que les « blancs ».
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La première partie de cette série d’articles – oui il y en aura d’autres – sur ce sujet est disponible ici
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