Chez moi, il y a 20 millions de dictateurs (potentiels)
Au Cameroun, s’il y a un qualificatif qu’on attribue facilement à notre cher et tendre président-fondateur, c’est bien celui de « dictateur assoiffé de pouvoir ». Ce n’est pas faux. Pourtant, il est parfois ahurissant de constater que ceux qui taxent le vieux de despote et d’incapable se comportent de la même manière, ou pire, que lui, quand l’occasion leur est donnée.
Il y a quelques années, je me souviens, j’allais au ministère de la Fonction publique pour compléter mon dossier de prise en charge. Arrivé au ministère, le vigile chargé de contrôler les entrées m’arrête et me demande la raison de ma visite. Malgré mes explications, il décide de ne pas me laisser entrer. J’ai dû revenir le lendemain. Voilà un cas d’abus qui est très récurrent chez nous : des gens s’arrogent un pouvoir qui n’est pas le leur, et s’en servent pour brimer les autres.
Généralement, dans les administrations, les portiers, vigiles et gardes du corps ont carrément titres de ministres ou de directeurs généraux. Ce sont eux qui font la pluie et le beau temps, au grand dam des usagers, à qui ils sont censés rendre service. Pourtant, ils sont parfois les premiers à pointer un doigt accusateur en direction de l’Empereur Biya 1er, et de ses amis du pays organisateur, parce qu’ils font passer l’intérêt commun après leurs intérêts égoïstes.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, les plus grands dictateurs du service public (il y en a beaucoup moins dans le privé) ne sont pas ceux qui ont les plus gros postes. Ceux qui ont déjà eu à aller légaliser des documents, dans les mairies, sous-préfectures ou préfectures, peuvent le confirmer : les secrétaires se donnent plus d’importance que les patrons eux-mêmes. La longueur des files d’attente, ou bien l’âge des clients qui attendent, ne les empêchent pas de causer longuement entre elles, au lieu de faire ce pour quoi elles sont payées.
Il m’est arrivé de vivre une scène ahurissante dans une sous-préfecture de Yaoundé. Une secrétaire essayait de renvoyer les usagers qui avaient des pièces à légaliser, en leur disant que le sous-préfet avait tout simplement arrêté de signer les documents. Tandis qu’elle essayait de disperser les mécontents, en les redirigeant vers d’autres sous-préfectures de la ville, est sorti de son bureau et s’est étonné de voir autant de monde dehors. La dame lui avait dit en réalité qu’il n’y avait plus de documents à signer, et elle était sortie disperser les gens.
Malheureusement, ce n’est pas seulement dans les services administratifs qu’on rencontre ce genre de personnes. Pour la plupart, elles ont toutes les raisons du monde de se plaindre du régime Biya mais, étonnamment, elles profitent de chaque petite occasion pour user et abuser du pouvoir qu’elles ont, aussi infime soit-il.
Dans les établissements scolaires, il n’est pas rare de rencontrer des membres de l’administration qui ont pour seule ambition de « brouter où ils sont attachés ». Malheur aux élèves qui auront l’audace de résister à leurs avances : ils seront brimés, humiliés à la première occasion, punis sans aucune raison. Au lycée bilingue de Maroua, il y a quelques années, c’est le portier qui décidait qui pouvait entrer et qui ne pouvait pas. Dès que le proviseur demandait de fermer le portail, l’entrée devenait payante.
Si les secrétaires, les portiers, les chauffeurs, les enseignants, abusent de leur autorité, pourquoi se plaindre lorsqu’un ministre bloque toute une voie pour organiser l’anniversaire ou le mariage de sa fille ? Pourquoi accuser les hommes en tenue qui sortent leurs armes pour régler leurs problèmes au quartier ? Il est très facile d’accuser les autres d’abus de pouvoir, de dictature, d’incompétence mais, avant de le faire, il faudrait au préalable se regarder dans la glace.
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