Le « maquisard » est en fait un intellectuel !
Je ne sais pas si c’est comme ça ailleurs, mais chez nous au Cameroun il y a des gens, quand ils décident de vous insulter, vous avez envie d’aller vous cacher dans un trou. Et j’ai bien l’impression que cet art insultatoire (oui oui, nous sommes des académiciens chez nous) se transmet même de génération en génération. En même temps, c’est normal hein : quand votre parent en colère vous en balance une, votre premier réflexe c’est de l’enregistrer pour la rebalancer à un ami dans la rue.
À l’époque, les pères de mon quartier, quand ils avaient fini de bien te laver (avec les insultes), t’achevaient en te sortant un « Maquisard ». C’était, pour beaucoup, l’insulte suprême. Tous petits, nous savions qu’un maquisard, c’était un type brutal, barbare, violent… une brute épaisse, un moins que rien. Un type avec tout dans le muscle et rien dans la tête. Eh bah non, on avait tout faux. Tout !
Au Cameroun quand on parle de maquisard, ou bien de maquis – il ne s’agit nullement d’un débit de boissons localement distillées –, le nom qui vient d’abord à l’esprit des uns et des autres, c’est celui de Ruben Um Nyobè qui a vécu dans le maquis et qui n’en est sorti que les pieds devant, en 1958, le 13 septembre plus précisément.
Si on s’en tient à l’idée qu’on a toujours eue du maquis et des maquisards, on pourra déduire que Um Nyobè, qui est l’un des maquisards les plus connus, était un sanguinaire illettré et violent. Et pourtant…
Le 26 septembre dernier, la Fondation Yes Africa a organisé, dans le cadre du programme « Les circuits de la mémoire », l’opération #RememberUmNyobè. Concrètement, il s’agissait de faire un voyage à Eséka pour visiter la tombe de Ruben Um Nyobè. Tout au long du voyage, notre guide, Tata Bergeline Domou alias Kabila nous a entretenus au sujet de cet homme dont beaucoup ne connaissent que le nom. Arrivés sur les lieux, de jeunes historiens ont également parlé de l’homme, de sa vie, de sa mort, de ses actions. Et là, je me suis dit, « Wow ! En fait, le maquisard c’est un intellectuel ! Ils nous ont menti pendant tout ce temps. Ils nous mentent encore… »

Um Nyobè, ai-je appris, était d’abord enseignant (sorti de l’École normale de Foulassi). Puis, il intègre la fonction publique et travaille même dans un tribunal où il se passionne pour le droit. « Donc, le maquisard, non seulement il enseigne, mais en plus il connait la loi ! » À l’époque où on nous insultait maquisard, on était loin de s’imaginer qu’un maquisard peut avoir un seul diplôme. Pourtant, c’est en 1939 que Um Nyobè a obtenu son baccalauréat.
Après plusieurs actions entreprises pour la libération du Cameroun, parmi lesquelles un réquisitoire contre la France prononcé devant les Nations unies en 1952 et la contribution à la création d’un parti politique (l’UPC), il entre dans le maquis pour échapper à la répression de l’administration coloniale. Là, il continue ses activités dans la clandestinité.
En fin de compte, je commence à me dire que traiter quelqu’un de maquisard, c’est en réalité un compliment. Oui, parce que si celui qui symbolise le maquis, Ruben Um Nyobè, n’est pas un brigand qui règle tous ses problèmes à coups de machette, mais plutôt un homme brillant et cultivé, si le maquisard est un intellectuel altruiste qui se bat pour le bien-être des autres au détriment de son propre confort (le maquis c’est des cachettes dans les forêts, pas un hôtel 5 étoiles), au détriment de sa propre sécurité et de celle de sa famille, eh bien, chacun devrait essayer de devenir maquisard dans ce pays appelé Cameroun.

D’ailleurs, au moment de sa mort, Um Nyobè tenait en main, non pas une arme, mais plutôt une mallette qui contenait des documents, et ses écrits. Voilà ce que c’est qu’un maquisard, un type qui fait fonctionner ses méninges. On n’en a plus beaucoup dans notre cher Cameroun. Aujourd’hui, c’est le ventre qu’on fait fonctionner avant tout.
Nous sommes revenus d’Eséka avec une nouvelle vision des choses, mais surtout une nouvelle version, la vraie, de l’histoire de notre pays, de l’histoire d’un homme dont la mémoire doit être restaurée. La bonne nouvelle, c’est que la Fondation Yes Africa ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. #Remember Um Nyobè, ce n’était que la première étape vers la rencontre entre la jeunesse camerounaise et l’histoire de son pays. Vivement la prochaine étape.
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