Le bon samaritain de la gare
Ce matin vers 5 h 30, je revenais du village après une nième réunion de famille (et sans avoir subi un seul contrôle sur la route, soit dit en passant). Arrivés à Tongolo, première escale du bus, mon frère et moi décidons de prendre un taxi avec mes deux neveux âgés d’un peu plus de deux ans.
Alors que je traverse la route pour monter dans le taxi qui vient d’accepter de nous conduire à la chapelle Nsiméyong, je remarque un type qui me suit discrètement, comme s’il voulait me proposer son aide ou quelque chose de ce genre.
Trouvant l’individu suspect, je presse le pas et prends place à l’arrière du véhicule juste à côté de mon frère qui tenait sa fille dans ses bras. Une fois assis, le quidam feint de m’aider à fermer la portière. Je l’arrête d’un geste et je ferme ma portière. « Va faire ton romantisme avec les filles de ton quartier », lui dis-je.
Au moment où le taxi va démarrer, une vieille dame propose une destination qui arrange le taxi. Elle s’installe juste à côté de moi. Entre-temps, le jeune homme qui l’a aidée à porter ses bagages jusqu’au taxi réclame 100 ou 200 francs au taximan, qui ne les a pas. La discussion tourne en rond, la vieille dame peine à s’installer (mon frère et moi ne sommes pas ce qu’on peut appeler des mannequins).
Le reste se passe très vite. Le gentleman de tout à l’heure, très concerné par la discussion entre le chauffeur et le porteur de sac, était resté près de la portière arrière. Rapide comme Lucky Luke, il dégaine un de ses bras et, plus rapide que son ombre et la mienne, m’arrache le smartphone que je tenais pourtant fermement de la main droite (j’en ai encore mal aux doigts).

Et tandis qu’Arsène Lupin s’éloigne en courant avec mon Nexus dans la main, mon cerveau analyse rapidement la situation et réalise ce qui est en train de se passer. Je jette presque mon neveu dehors et j’essaie de sortir en vitesse pour me lancer à ses trousses.
Comble de malheur, la vieille dame me barre le chemin. Je fais quand même un plongeon en avant digne de Micheal Phelps, j’atterris non pas dans une piscine, mais sur mon neveu qui pleurait déjà par terre, et essaie de libérer mes jambes restées coincées dans le taxi – Ok, Phelps aurait rougi de honte en voyant ce plongeon.
Quand je parviens à me libérer, en criant de ma plus belle voix « Mon téléphone ! Mon téléphone ! », j’aperçois Arsène Lupin en train de prendre un virage au coin d’une vieille baraque. J’envisage de le rattraper, savourant d’avance la raclée que je vais lui mettre si je l’attrape. Mais mon frère, plus raisonnable, me dit, « Laisse ! Laisse ! Il est déjà parti ».
Mon frère a raison, suivre ce type dans les élobis* d’un quartier que je ne connais pas peut tourner au drame. Ces gars ont généralement des complices qui attendent armés de couteaux qu’un courageux arrive dans leur zone de confort.
Je reviens donc dans le taxi avec les poings qui me démangent. Bizarrement, le type qui réclamait 100 francs n’en veut plus. Même la vieille dame est allée s’asseoir à la cabine. Je reprends ma place à l’arrière en silence et on démarre.
Sur le chemin, je digère lentement mais difficilement, surtout que je ne mets jamais de mot de passe à mes téléphones. Pire, il y avait à peine deux jours que j’avais désactivé l’application Antivol d’Avast, qui permet de verrouiller le smartphone en cas de vol. Mais j’ai espoir: au moment où il changeait de propriétaire, mon téléphone était connecté à Internet, donc il me reste une dernière chance de le bloquer à partir de mon PC.
Je suis arrivé à la maison, et heureusement j’ai pu réactiver AntiTheft d’Avast et j’ai verrouillé le téléphone à distance. Ce type ne vendra pas mon téléphone, c’est certain. Mais je ne le récupérerai probablement jamais.
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Elobi : bidonville, partie insalubre d’un quartier
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