Pour la peau couleur soleil
Ayanna avait déjà fait le tour des cliniques et des marabouts de Yaoundé et de ses environs. En désespoir de cause elle s’était rabattue sur les églises réveillées. Et, régulièrement, on priait pour elle. On essayait de chasser le démon de la stérilité qui l’habitait, à ce qu’il semblait. En vain. Le démon tenait bon.
Ça faisait presque dix ans, dix longues années qu’Ayanna était mariée, mais ne parvenait pas à enfanter. Au quartier, on l’appelait « la white ». Tous les hommes la regardaient avec envie, et toutes les femmes étaient jalouses de sa peau claire et lisse. Même si, quinze ans plus tôt, elle n’avait pas le même teint, Ayanna était très fière de la peau qu’elle s’était faite. Cette peau lui avait coûté tellement d’efforts ! Mais son objectif était atteint : elle avait la peau de ses rêves. Cependant, un obstacle l’empêchait d’être heureuse : l’enfant. Elle voulait un enfant.
Dans sa belle-famille, elle était la risée. Sa beauté, et surtout sa peau claire, décuplait la méchanceté de ses belles-sœurs et ses coépouses (les femmes de ses beaux-frères) qui s’acharnaient sur elle avec toute l’agressivité, dont elles étaient capables. Ayanna avait donc tout essayé. Tout ! Sans succès.
De plus en plus, sa belle-mère parlait de donner une autre femme à son fils. Il était inadmissible que ce dernier n’ait pas d’héritier. Et si Ayanna était incapable de lui en donner un, il revenait à la mère de celui-ci de s’assurer qu’il aura une descendance. Avec le temps, Ayanna avait vu la détermination de son époux à résister à sa mère s’estomper. Lentement, inexorablement. Désormais, elle avait la certitude que tôt ou tard, elle aurait une coépouse. À moins qu’elle n’enfante avant. C’était sa seule chance. Mais que faire ?
Et puis, un beau jour, belle-maman débarqua du village avec une jeune fille, visiblement enceinte, et vint l’installer chez Ayanna. Inutile de poser des questions : l’enfant était bel et bien de Kémi, le mari d’Ayanna.
Le désespoir d’Ayanna fut immense. Elle crut que son cœur allait lâcher, elle souhaita mourir, elle maudit ses ancêtres à cause de la malédiction qu’ils lui avaient jetée… Pourquoi n’enfantait-elle pas ? Pourquoi ?
Ayanna ne mourut pas, mais elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Négligée, sa belle peau couleur banane commença à s’assombrir lentement. Ayanna qui se négligeait avait arrêté d’utiliser ses crèmes miracle, celles-là mêmes qui pouvaient transformer une négresse en métisse, et même en blonde !
Un jour pourtant, le miracle se fit. Ayanna était enceinte. Quelle joie ! De nouveau, Ayanna marchait la tête haute dans le quartier, défiant ses coépouses et ses belles-sœurs de lui lancer leurs piques empoisonnées, comme avant. Elle reprit du poil de la bête, et cela se fit ressentir sur son teint qui, plus que jamais, brillait comme le soleil au zénith.
Les mois passèrent vite, et ce fut le moment d’accoucher. À l’hôpital, les choses se compliquèrent pour Ayanna : une césarienne s’imposait. On la fit. Mais au moment de recoudre Ayanna, le chirurgien eut tout le mal du monde : la peau ne tenait pas et le fil de suture déchirait facilement la peau, rendant impossible l’opération.
Il fallut, après avoir enlevé les chairs déchirées, recoudre précautionneusement l’abdomen ouvert, pour parvenir à le refermer. Quand elle se réveilla, le chirurgien posa une question à la jeune femme, « Madame, utilisez-vous des produits éclaircissant le teint ? » A sa réponse affirmative, le médecin lui dit que ces produits étaient la cause de tous ses problèmes. Il lui expliqua que ces produits décapaient la peau et qu’ils sont généralement constitués d’hydroquinone, mais aussi de cortisone, un composant qui, chez certaines femmes, entraîne des dysfonctionnements hormonaux et perturbe le cycle menstruel, ce qui rend la grossesse difficile, voire impossible.
Et tandis que de grosses larmes de regret perlaient les yeux d’Ayanna qui venait de réaliser que ses ancêtres n’avaient rien à voir avec sa stérilité, le chirurgien ajouta, en lui montrant son abdomen, que ces lotions, pendant qu’elles détruisent la mélanine, fragilisent et atrophient la peau. En cas d’intervention chirurgicale, les risques sont multipliés, car la peau devient non seulement difficile à recoudre, mais aussi cicatrise difficilement. La guérison de la jeune femme allait donc prendre un certain temps.
Ainsi, Ayanna avait tout perdu, simplement parce qu’elle n’était pas satisfaite de la couleur de sa peau. Elle avait tout perdu, parce qu’elle n’a pas su s’accepter, s’aimer. À cause de cela, son Kémi avait épousé cette gamine de Winta pour qu’elle lui fasse des gosses. À cause de cela, elle a failli rester sur la table d’accouchement, le ventre béant. D’ailleurs, elle n’était pas encore tirée d’affaire. La cicatrisation de sa blessure était encore incertaine, et rien n’indiquait que les fils de suture allaient tenir.
Est-ce que ça en valait la peine ? Ayanna se posait la question dont elle savait la réponse. Elle esquissa avec peine un sourire en voyant son mari entrer. Il portait leur petite fille dans ses bras.
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