Nos universités ne fabriquent pas de «Prince Aimé»
Il y a une dizaine d’années environ, l’artiste musicien camerounais Prince Aimé créa la surprise avec sa chanson intitulée « Viviane ». Ce qui rendait la surprise encore plus agréable, c’est que cet artiste était aveugle. Ça faisait plaisir de voir un handicapé faire autre chose que mendier. En réalité, on a cru pendant longtemps que le dénuement dans lequel vivent certains handicapés était causé par leur manque de volonté de se battre. Et pourtant…
Dans nos universités, on rencontre un grand nombre de handicapés qui s’en sortent plutôt bien. Je me souviens que le meilleur étudiant de ma promotion en lettres bilingues à l’Université de Yaoundé 1, à l’époque, était aveugle. Cependant, s’occuper d’un enfant handicapé nécessite beaucoup de sacrifices et implique beaucoup de dépenses.
C’est dans l’optique de soulager les familles modestes dont l’un des membres est handicapé que la loi n°2010/002 du 13 avril 2010 portant protection et promotions des personnes handicapées a été adoptée et promulguée.
D’après cette fameuse loi, dans toutes les universités d’État, les étudiants handicapés doivent être dispensés du paiement des frais de pension. « Gloire à Paul Biya, pourfendeur des inégalités sociales » ? Que nenni ! Jusqu’à présent cette loi n’a JAMAIS été appliquée tout simplement parce que son décret d’application attend toujours la signature du président de la République – avec la loi anti-manifestations antiterroriste, il n’a pourtant pas tardé à signer ce décret, et ce malgré les contestations.
Voilà donc cinq ans, cinq bonnes années, que le gouvernement envoie systématiquement dans la rue tout étudiant handicapé qui aurait la prétention de s’instruire dans l’espoir de se forger un avenir radieux, loin des carrefours et autres lieux où foisonnent mendiants et indigents. Un handicapé n’est pas un mendiant. Pourquoi donc, dans les universités, on essaie de les forcer à en devenir ? Quand on sait que même les diplômes n’assurent plus l’emploi, est-il normal qu’on empêche à certains d’en avoir ?

Il n’y a pas deux semaines, des étudiants handicapés étaient expulsés des amphis, la veille des examens semestriels pour défaut de paiement des frais de scolarité. Que faut-il pour que le Roi Lion, Sa Majesté Paul Biya, l’homme du renouveau et blablabla, prenne quelques secondes de son précieux temps pour signer le décret d’application de cette loi qui redonnera de l’espoir à des milliers de Camerounais ?
Dès l’université, on fait déjà des étudiants handicapés des mendiants. Ces derniers sont obligés de mendier l’indulgence des recteurs ou du ministre des Enseignements supérieurs pour ne pas être expulsés pendant les examens. Et tandis que le roi fait ses voyages onéreux en Suisse ou ailleurs en Europe, nos frères sont expulsés des salles de classe pour un paiement qu’ils ne sont pas censés faire.
Comment ne pas s’indigner devant l’insensibilité des autorités universitaires qui ne semblent pas avoir du temps pour traiter les demandes d’aides qu’elles ont elles-mêmes transmis aux étudiants ? Est-il normal que, depuis l’année académique passée, les demandes d’aide déposées par les étudiants handicapés au niveau des universités n’aient pas encore été traitées jusqu’à nos jours ?
L’administration universitaire a carrément décidé de mettre à l’écart ceux des étudiants handicapés qui n’ont pas les moyens de payer. Car en attendant que les dossiers soient « traités », l’administration promet aux étudiants qui ont besoin d’aide de payer la pension pour être remboursés plus tard, si leur dossier aboutit. Ainsi, à ceux qui ne peuvent pas « préfinancer » leur scolarité dans l’espoir d’un remboursement qui n’arrivera sans doute jamais, l’administration universitaire offre littéralement un bol en aluminium et un coin de rue. Pour mendier.
Mais quand en finira-t-on avec cette clochardisation systématique des handicapés ? Comment peut-on prétendre vouloir les aider, leur faciliter les choses, eux pour qui les choses sont déjà très compliquées, et en même temps être les obstacles qui les empêchent d’avancer ?
Le président de la République et les administrations universitaires DOIVENT prendre les mesures qui s’imposent pour que les étudiants handicapés soient enfin considérés comme des citoyens à part entière. Ces derniers ne demandent que cela. Notre gouvernement, apparemment, ne fait rien pour que les Prince Aimé, les Talla André Marie, les Coco Bertin (artistes musiciens, tous aveugles) soient nombreux dans ce pays. Ils ne veulent pas que d’autres Somb Lingom (mon camarade de fac, aveugle et aujourd’hui brillant journaliste) naissent et prospèrent. Ils semblent redouter que des Tchakounté Kémayou (étudiant handicapé, mondoblogeur et doctorant à l’Université de Douala) soient nombreux au Cameroun. Quelle injustice !
La place d’une personne handicapée n’est pas dans la rue. Un handicapé ne doit pas être voué à la mendicité. Cela doit être su.
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