Donc les Camerounais aussi sont Charlie ?
Ma mère nous racontait autrefois que sa grand-mère, après la mort de son mari, avait pris l’habitude pour le moins étonnante de s’arrêter systématiquement à chaque deuil qu’elle rencontrait et d’y aller pleurer le mort, qu’elle le connaisse ou pas. J’imagine la surprise des familles endeuillées en voyant débarquer une inconnue qui pleure leur mort plus fort qu’elles-mêmes. Nous en avions ri, à l’époque. Aujourd’hui, ça me fait moins rire, surtout quand je vois mes compatriotes se comporter comme mon arrière-grand-mère – ils font même pire qu’elle – avec la mort des journalistes de Charlie Hebdo.
« Nous sommes tous Charlie »
La réponse du monde entier a été fulgurante face à ce triste événement. Sur les réseaux sociaux, on a vu des photos de profil, des statuts, des tweets dans lesquels on pouvait lire « Je suis Charlie ». Même dans les journaux et sur les chaines de télévision, les marques de solidarité abondent. Au Cameroun, nous avons suivi la tendance, changeant nos photos de profil, écrivant des mots de condoléances, nous lamentant et maudissant les terroristes.
Ce qui est pourtant étonnant, c’est que, pas plus tard que la semaine passée, plusieurs Camerounais ont été égorgés à l’extrême-nord du pays par les terroristes appartenant, paraît-il, à la secte faussement islamiste Boko Haram. Combien de nos enfants, parents, amis, frères, sœurs, etc., combien de nos compatriotes ont été victimes d’attentats ? Combien de soldats sont morts au front, tombés sous les balles ou bien sous les lames des terroristes ? Combien ? Quelle a donc été la réaction du monde ? Quelle a été la réaction de l’Afrique ? Pire, quelle a été la réaction du Cameroun ?
Je ne suis pas Charlie
La grande majorité des Camerounais et même des Africains sont comme mon arrière-grand-mère : ils ont plus tendance à pleurer le deuil des autres, criant même plus fort que ces derniers, se lamentant avec plus de chagrin. Pourtant, leurs propres corps sont abandonnés, oubliés. Pourtant, leurs larmes coulent à peine à leurs propres deuils, et leurs corps sont enterrés dans l’indifférence totale.
Moi, je ne suis pas Charlie. Non. Je serai peut-être Charlie, après avoir été tous ces camerounais égorgés au nord de mon pays. Je serai Charlie, après avoir été ces enfants qui fuient avec leurs parents, de peur de recevoir une balle qu’ils ne méritent pas. Je serai Charlie, mais seulement si je peux avant tout être ces soldats qui périssent chaque jour pour leur pays. Je serai peut-être Charlie. Mais avant, je me dois d’être Kolofata, Achigachia, Amchidé, Fotokol.
Je serai Charlie si, après avoir été chaque Camerounais, chaque Africain qui souffre, j’ai encore un peu de place.
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