Les Experts: Yaoundé

Article : Les Experts: Yaoundé
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31 décembre 2014

Les Experts: Yaoundé

Tout à l’heure, la nation camerounaise toute entière était, une fois de plus, en train d’écouter le discours traditionnel de notre bon roi, Sa Majesté Paul Biya, président à vie du Cameroun – OK, j’exagère : la plupart des Camerounais ne se donnent même plus la peine de l’écouter. Comme je disais, on a écouté le monarque dire son discours, mais sans se faire trop d’illusions. Et il ne nous a pas déçus : une rétrospective plate des actions (toutes positives, d’après lui) menées au cours de l’année, des déclarations évasives et superficielles sur ce qu’il y a encore à faire, aucune projection sérieuse, aucun projet concret, rien pour la jeunesse, rien pour l’économie, rien pour le peuple, rien pour le Cameroun…

Comme chaque année, après le discours présidentiel, la parole est passée aux Experts Yaoundé, ces intellectuels camerounais qui sont passés maîtres dans l’art de boucher les trous. Le président a-t-il parlé de trois nouveaux hôpitaux de référence ? Les experts vous diront que le secteur de la santé se porte comme un charme ; ils ne feront cependant aucune mention des conditions déplorables dans lesquelles les malades sont reçus et traités dans ces hôpitaux. Ils ne diront pas que dans ces hôpitaux des malades meurent, non pas par manque de médicaments ou de médecins, mais simplement parce qu’ils n’ont pas voulu (ou pu) « encourager » le personnel à s’occuper d’eux.

Si le président a évoqué les ripostes de l’armée face à l’ennemi Boko Haram, les experts ont tôt fait d’annoncer la victoire camerounaise dans ce conflit – comme s’il y avait un vainqueur dans une guerre. Les experts oublient tous ces Camerounais qui fuient leurs zones d’habitation, terrorisés par les assaillants qui égorgent et mutilent sans raison. Les experts omettent de préciser que des centaines d’enfants sont désormais sans abris et sans avenir, car ces derniers, délogés de leurs villages, n’ont plus aucun moyen d’aller à l’école.

Crédit photo: Desy Danga (kalangoo-84.blogspot.com)
Quelle éducation peut-on donner aux enfants dans un tel environnement? – Crédit photo: Desy Danga (kalangoo.wordpress.com)

Les Experts Yaoundé, quand ils font leur décryptage, ne citent pas tous ces soldats qui périssent au champ de bataille. Ils ne mentionnent pas le fait que la plupart des membres du Boko Haram qui nous attaque sont des Camerounais que la misère et l’ignorance ont forcés à rejoindre l’ennemi.

Ce qui est étonnant, et ce qui m’écœure, c’est que ces hommes qui s’attèlent à décrypter les messages du Roi Lion chaque année sont en réalité des personnalités dont le niveau d’analyse et réflexion ne souffre d’aucune contestation. Ils sont généralement parmi les meilleurs dans leurs domaines : grands journalistes, enseignants d’université, économistes, etc. Mais comment donc font-ils pour passer à coté de l’essentiel ? Comment font-ils pour peindre notre pays en blanc, malgré les nombreuses zones sombres qui pourtant sont visibles à l’œil nu ?

Nos experts pensent-ils que le fait de tout analyser de façon positive va aider le Cameroun ? Ce n’est pas en criant sur les antennes que le pays est en sécurité que cela va empêcher que des Camerounais se fassent tuer chaque jour aux frontières. Ce n’est pas en épiloguant longuement sur la vocation de notre agriculture à s’industrialiser que nous aurons des tracteurs pour aider les paysans à booster leur rendement – si jamais ils savent se servir de ces engins – ou bien des routes pour évacuer les produits récoltés.

Photo chipée sur facebook
Des tracteurs abandonnés dans la broussaille après le dernier comice agropastoral à Ebolowa – Photo chipée sur facebook

Au Cameroun on gagnerait à se dire les choses en face, sans langue de bois, sans tournure, sans atténuation. Ce que nous attendons des Experts Yaoundé, c’est de l’objectivité dans leurs analyses – la moindre des choses, je crois ! Ce qu’on veut, c’est qu’ils mettent leurs titres ronflants en valeur pour nous servir des analyses un peu moins empreintes de mauvaise foi. Il en va de leur crédibilité. Les Camerounais en ont besoin, pour avoir un idée précise des défis qui seront les leurs au courant de l’année.

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Commentaires

Louise Pascale
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Superbe article sur les petites réflexions de ton monarque et les "hyperboles" qu'en font ces personnes qui se prétendent du métier de l'information.
Après tout, peuvent-ils faire autrement? On sait bien qui si ils s'arrêtent à la diffusion de la réalité et de l'incapacité monstre du "parasite"... ce sont les problèmes.

Fotso Fonkam
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Merci, Louise Pascale.
Ils n'ont peut-être pas le choix (je dis bien "peut-être", car on a toujours le choix), mais à la longue, on ne les prend plus au sérieux. Pas plus que leur créateur, le bon roi non plus, d'ailleurs. Si la mauvaise foi pouvait tuer...