« Cher collègue, bienvenue en enfer » (Quatrième partie)

Article : « Cher collègue, bienvenue en enfer » (Quatrième partie)
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24 novembre 2014

« Cher collègue, bienvenue en enfer » (Quatrième partie)

Le trajet Mengong – Melane est beaucoup plus long que ce à quoi je m’étais préparé. Ça fait plus de 45 minute qu’on est partis de Mengong, et on n’est pas encore arrivés. Après avoir subi la pluie, après avoir plus d’une fois failli glisser, mais surtout après avoir traversé plusieurs villages, on semble près du but. Le moto-taximan vient de me dire en désignant des élèves qui rentraient des classes : « Voila les élèves de ton lycée. »

Il nous faut pourtant traverser trois autres villages avant d’arriver enfin à Melane. Quand nous sommes arrivés, je n’y croyais plus. Je commençais même à désespérer d’y arriver un jour. Quand le moto-taximan me dit « Voici ton lycée » en désignant une plaque sur laquelle c’était écrit « Lycée de Melane », je suis surpris. Surpris de trouver des bâtiments si bien construits dans un coin pareil. Je suis surpris de retrouver des constructions en « dur » au milieu de cases délabrées en poto poto. C’était comme si on me servait du champagne dans un verre en inox ou bien en plastique. Ça dénature le goût du breuvage, et ça enlève jusqu’à l’envie de boire.

Quelques élèves traînaient encore dans la cour. Traduisant une phrase que je n’ai pas prononcée, le moto-taximan leur demande si le proviseur est encore au lycée, et me donne leur réponse : non, le proviseur n’est pas au lycée. Personne ne l’a vu depuis lundi. Continuant dans la même lancée, mon interprète de circonstance leur demande si elles connaissent sa maison. Elles lui indiquent le lieu. Il les remercie et nous, on repart.

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Des élèves que nous avons croisées sur le chemin

Les élèves n’ont pas dû être précises dans leurs instructions, car on se trompe une première fois. Le lieu où nous sommes est désert, mais ne ressemble pas à une maison d’habitation. Moi, je propose qu’on rentre, mais mon compagnon de voyage ne l’entend pas de cette oreille. On redescend et il se renseigne encore. On lui dit que le proviseur n’est pas à Melane, mais que sa maison est juste à côté.

Arrivés au deuxième lieu qu’on nous a indiqué, c’est le moto-taximan qui appelle, « Il y a quelqu’un ? » tonne-t-il. Aucune réponse. Il insiste, en bulu, cette fois. C’est au troisième appel qu’on entend enfin des bruits de pas. Un jeune homme se présente à nous. Le moto-taximan le salue en bulu toujours, et engage la conversation. Puis, le garçon me dit, « Le proviseur n’est pas là, il est à Yaoundé. Mais le surveillent général est ici. » Il a à peine fini de parler que le surveillant général se pointe à son tour. C’est également un jeune homme, au teint très foncé. Il est mince et porte un jeans kaki et une chemise violette.

Après que je lui aie exposé ma situation, il me dit « Ah, tu es un nouveau collègue ? » Puis avec un large sourire, il ajoute, « Bienvenue en enfer ! » Je souris, légèrement, et je réponds « L’enfer, c’est les autres… » J’ai très envie de lui dire « Va te faire foutre », mais à quoi bon ? Il me demande si j’ai vu les censeurs au lycée. Je lui dis non, que c’est le proviseur que je suis venu voir, et non les censeurs. Avant de partir, je lui demande le numéro du proviseur que je note sur un papier (mon téléphone est éteint depuis très longtemps).

« Bon, on repart », dis-je au moto-taximan. Et tandis qu’on s’éloigne, je jette un dernier coup d’œil au lycée, en regrettant qu’on l’ait placé dans un coin pareil. Le chemin retour n’est pas plus aisé que l’aller. La route a été plus ou moins utilisée, donc elle est devenue plus glissante. Mais bon, vu que je suis déjà couvert de boue, je n’ai même plus peur de tomber.

En route, le moto-taximan et moi on bavarde. Je lui explique la difficulté de la situation dans laquelle je me trouve, et les dépenses que ça va engendrer. Surtout que je n’ai vu aucune boutique sur le trajet. Lui, il m’écoute et essaie de m’encourager à rester à Melane. On roule pendant un temps, puis, apercevant un forage, je lui demande, « Est-ce qu’il y a des problèmes d’eau ici ? »

­– Non, répond-il. Il y a des ruisseaux presque partout.

– Je parle de l’eau à boire, hein.

– Oui, insiste-t-il. C’est ça qu’on boit ici… »

Je suis resté sans voix. Pendant un instant, j’ai repensé à tous les slogans de politiciens qui parlent d’émergence en 2035 et qui ne sont même pas foutus de donner des routes ou bien de l’eau aux populations ! Quand on parle d’émergence, on parle de développement. Et le meilleur moyen de développer un coin, c’est justement d’y construire des routes. Le tout n’est pas d’implanter une école dans un coin perdu à l’accès difficile et aux conditions de vie insupportables. On se dit au Cameroun que c’est le 31 décembre 2034 qu’on va développer le pays…

En passant devant un autre village, je demande au conducteur, « Comment font donc les élèves des autres villages qu’on a traversés, puisqu’il n’y a pas de motos sur cette route pour les porter. Comment font-ils pour aller à l’école ? » Il m’explique que la plupart des familles envoient leurs enfants à Ébolowa ou bien à Mengong, où ils leur louent des chambres. J’imagine les sacrifices que ces parents, que j’imagine peu nantis, doivent faire pour que leurs enfants soient instruits. J’imagine tous les dangers auxquels les jeunes camerounais originaires de cette contrée  peuvent être confrontés en allant vivre seuls dans des villes comme Ébolowa, sans aucune autorité, sans aucun guide. Quel gâchis !

Après moult dérapages, moult glissades, je sens le sol plus ferme, plus régulier. On est de nouveau sur le « goudron ». Quelques minutes plus tard, j’aperçois le centre-ville de Mengong. On est de retour. Je suis soulagé, malgré la douleur atroce que je sens dans mon dos. Je demande au moto-taximan, « Quel est le moyen le plus rapide pour aller à Yaoundé à partir d’ici ? » Il m’explique que ce n’est pas nécessaire que je rentre jusqu’à Ébolowa, que je ferais mieux de ressortir jusqu’au goudron – le vrai, cette fois – et que de là-bas je peux intercepter les bus pour Yaoundé. « En moins de 30 minutes, tu seras parti », me rassure-t-il.

On est arrivés. Je le paye, après l’avoir sincèrement remercié. Lui, me souhaite bonne chance et s’en va. Je me dirige immédiatement chez ma grande sœur de Mengong. Elle n’est malheureusement pas chez elle. Je décide de rentrer. Je ne veux en aucun cas passer la nuit à Mengong. Je repars donc vers les motos et j’en emprunte une pour le péage.

Presque tout les fonctionnaires de Mengong vivent dans ce camp
Presque tout les fonctionnaires de Mengong vivent dans ce camp

Arrivé au péage, je retrouve la dame avec qui j’ai fait une partie du chemin. Elle attend toujours que le véhicule dans lequel elle a oublié son bagage passe. Je ne suis pas prêt à bavarder, donc je m’éloigne un peu.

Le temps passe, mais aucun véhicule ne se pointe. Je commence à me demander si je n’aurais pas mieux fait d’aller à Ébolowa. Tout près, il y a une voiture qui semble en panne. Les occupants sont en train de la réparer. Le type qui vend les tickets au péage me suggère de leur demander de m’emmener. Je suis sceptique, mais voyant qu’aucun véhicule ne passe, j’attends qu’ils finissent et je leur demande s’ils peuvent m’emmener. « La voiture-ci est en panne, hein. On ne peut pas vous emmener », me dit l’un d’eux. Ok, bonne chance…

Je n’ai pas eu à attendre trop longtemps encore, un bus aux trois-quarts plein arriva au péage et je pris place au fond.

Sur le chemin retour, je dors jusqu’à Mbalmayo. Le reste du chemin se passe sans problème. Trente minutes plus tard, on arrive à Mvan. Sans perdre de temps, j’emprunte un taxi pour Nsiméyong (le quartier où je réside, à Yaoundé). Il est 21 heures moins quand j’entre enfin chez moi avec une seule envie, me coucher et dormir.

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