Enseignement secondaire au Cameroun: pourquoi ça ne marche pas?
C’est septembre. La rentrée scolaire est là, avec toutes les agitations qu’on lui connait : les parents qui se battent pour inscrire leurs enfants, des établissements qu’on crée à tout coin de rue, les enseignants qu’on mute, les proviseurs qu’on nomme etc. Chaque septembre, c’est le même scénario : bousculades, plaintes, négociations, magouilles…
Passée la fièvre de la rentrée, le calme revient sur la vie éducative camerounaise. Un calme apparent, quand on sait ce qui se passe dans les établissements car en réalité, c’est après septembre que les vrais problèmes commencent. Le constat est général, l’enseignement au Cameroun a perdu de son éclat. L’époque où on pouvait accorder du crédit aux diplômes obtenus par nos jeunes concitoyens est à peu près révolue. Mais pourquoi cette décadence dans notre système éducatif ? Quelles sont les causes de la déchéance intellectuelle au Cameroun ?
Surpopulation dans les salles de classe
Si on s’amuse à faire un tour dans les salles de classe des établissements publics de la ville, on fera un constat général : les classes sont surpeuplées – et c’est rien de le dire. Parfois il y a à peine assez d’espace pour que l’enseignant écrive au tableau. La conséquence c’est qu’il devient presqu’impossible de faire cours, car pour qu’un cours soit bien dispensé, un maximum de silence est requis dans la classe (les élèves peuvent-il apprendre sans écouter ?) L’une des techniques de contrôle de la classe c’est la circulation dans la classe, entre les tables-bancs. Dans nos lycées, CES et collèges, c’est quasiment impossible de circuler en classe à cause des bancs qui occupent tout l’espace disponible. Dans ce contexte, l’enseignant se retrouve généralement en train d’enseigner les deux premiers bancs de chaque rangée. Si, dans une classe de 120 élèves on ne peut se faire entendre que de 20 élèves, alors il est impossible d’espérer quoi que ce soit de ces derniers. Même ceux qui peuvent écouter seront distraits par les autres.
Mais pourquoi cette surpopulation ? La question est à poser aux proviseurs ainsi qu’aux membres des commissions de recrutement. Il existe un texte ministériel fixant le nombre maximum d’élèves dans une classe. Il est évident que les proviseurs n’en font aucun cas. Les recrutements se font moyennant un petit quelque chose. Comme l’a dit quelqu’un, « pendant les mois qui se terminent par –bre (septembre, octobre, novembre et décembre), les proviseurs sont des rois. »
Enseignants « à vocation urbaine »
En fin août – début septembre, les enseignants sont généralement mutés. Et il suffit d’aller voir les listes pour s’en rendre compte : tout le monde veut travailler en ville, et dans les grandes villes, de préférence. Dans certains établissements de la ville de Yaoundé, on retrouve des départements avec près de 25 enseignants, tandis qu’ailleurs, dans les périphéries et même dans d’autres villes, il y en a à peine deux ou trois pour la même matière. C’est pour cela que certains ont 20 heures de cours par semaine tandis que d’autres en ont trois ou quatre. Dans les deux cas, il est impossible de bien enseigner, car soit on a 3 ou 4 heures par semaine et on se lance dans d’autres activités – qui finissent par nous absorber – parce qu’on a trop de temps libre, soit on a 18 ou 20 heures et on se retrouve en train de bâcler les leçons, de mal préparer les évaluations et de corriger les feuilles avec négligence (surtout si on a des classes de 120 élèves) parce qu’on croule sous les heures.
Pourtant, il existe des délégations régionales qui maitrisent les effectifs dans chaque établissement de chaque région. Comment se fait-il donc que certains enseignants sont mutés des établissements en carence de personnel vers ceux qui en ont déjà trop ? C’est au ministre et au directeur des ressources humaines du Ministère des Enseignements Secondaires de répondre, car malgré le fait qu’il y ait des listes qui viennent du ministère chaque année pour le recensement du personnel dans les établissements, on assiste généralement à l’exode massif des enseignants des périphéries et des villes éloignées vers les villes principales (Douala, Yaoundé, Bafoussam etc.) Il se murmure également dans les coulisses que pour être muté où on le désire, on doit donner un petit quelque chose au boss par ses nombreux intermédiaires, sinon…
La formation au rabais ou inappropriée
Ce serait faire preuve de mauvaise foi que d’éviter d’indexer les écoles responsables de la formation des enseignants au Cameroun. Au mieux des cas, la formation qui leur est donnée est inappropriée, car le plus souvent l’accent est mis sur les matières académiques (littérature, langue, etc.) au détriment des matières professionnelles (pédagogie, didactique, méthodologie). Pourtant l’expérience montre que les connaissances livresques et les savoirs savants sont insuffisants pour préparer et surtout dispenser une bonne leçon. Pourquoi n’insiste-t-on pas plus sur les matières professionnelles ? J’aimerais avoir la réponse d’un directeur d’école normale à ce sujet. D’ailleurs, pourquoi les enseignants n’ont que trois mois de stage pratique sur au moins deux ans de formation ? Mystère. Dans tous les cas, les effets dévastateurs de cette politique éducative ne sont plus à démontrer dans les salles de classe.
Il est également à noter que certaines écoles normales souffrent cruellement du manque d’enseignants spécialisés en sciences de l’éducation. Ceux qui sont là, sans être du domaine et la plupart du temps sans être passés eux-mêmes par des écoles normales, font de leur mieux. Ce qui est insuffisant pour assurer une formation de qualité aux enseignants. Au finish, seuls les plus brillants et les plus travailleurs pourront s’améliorer sur le terrain.
Incompatibilités entre les approches pédagogiques et le contexte d’apprentissage
Depuis deux ans, au secondaire on parle d’Approche Par Compétence avec Entrée par les Situations de Vie (APC-ESV). Il s’agit d’une nouvelle approche pédagogique qui vient remplacer l’ancienne (l’approche par les objectifs). Cette approche qui se veut plus pratique et plus efficace est cependant incompatible avec l’environnement éducatif dans lequel nous évoluons. En effet, dans l’APC-ESV, l’enseignant a pour rôle de guider l’élève dans sa découverte du savoir. C’est à l’apprenant de faire ses expériences pour découvrir la notion à apprendre. En clair, avec l’ancienne approche, l’enseignant était le lien entre le savoir et l’apprenant. Ici, il est juste un facilitateur qui intervient en cas de difficulté). Seulement, avec les effectifs pléthoriques enregistrés dans nos salles de classe, peut-on efficacement implémenter cette approche quand on sait qu’elle exige à l’enseignant de s’occuper particulièrement de chaque élève ? Mission impossible, même si les élèves forment de petits groupes – avec 150 élèves dans une classe, combien de groupes aura-t-on ?
Au niveau du primaire, il existe ce qu’on appelle la « promotion collective » qui voudrait que les élèves évoluent tous en classe supérieure. Cela signifie qu’aucun élève ne doit redoubler une classe. Les conséquences sont désastreuses. Il n’y a qu’à voir les résultats des concours d’entrée en 6ème pour s’en rendre compte. Ce système, lui aussi calqué sur le modèle européen (ou il y a parfois 15 ou 20 élèves par classe), n’est pas adapté à notre contexte car lui aussi requiert une attention particulière de la part de l’enseignant.
Pourquoi donc insister pour appliquer des politiques éducatives qui ne seyent pas à notre contexte ? Pourquoi ne pas mettre en place un cadre propice à leur implémentation avant de les valider ? Les inspecteurs nationaux ont peut-être les réponses à ces questions.
L’Office du Baccalauréat du Cameroun (OBC) et la Direction des Examens et Concours (DECC), coupables ou pas ?
Quel est le degré d’implication de ces deux organes chargés de l’organisation des examens officiels dans le déclin du niveau scolaire au Cameroun ? Il suffit d’assister aux délibérations desdits examens, ou bien de se renseigner à propos. Plusieurs rumeurs ont fait état de ce que le BEPC a été délibéré à 06/20 au Cameroun une année. Si ces rumeurs exagéraient forcément sur la moyenne qui permettait d’avoir le diplôme, il n’en demeure pas mois vrai qu’au Cameroun, on n’a pas besoin d’avoir 10/20 pour réussir à un examen. Loin de là. Après avoir ajouté des points aux candidats, il s’avère que les jurys qui ne sont généralement pas libres de définir leurs propres critères de délibération, se voient obligés de faire passer des candidats non méritants en se basant sur les critères que l’OBC ou la DECC imposent aux présidents de jurys.
Si les organes chargés de s’assurer que le niveau scolaire ne baisse pas sont ceux-là mêmes qui insistent pour que des cancres soient admis aux examens, que pouvons-nous espérer des apprenants ? Pas de l’ardeur au travail, en tout cas. Dans quel but le font-ils ? Peut-être pour contenter certains parents. Mais les conséquences, c’est toute la nation qui les subit.
En fin de compte, notre système éducatif secondaire rencontre des difficultés à tous les niveaux, de la base au sommet, en passant par les maillons essentiels que sont les enseignants et les élèves. Une remise en question sérieuse est indispensable pour redresser la courbe. Une révision des programmes de des approches d’enseignement, de même qu’un rehaussement de la qualité de la formation du personnel enseignant s’avère nécessaire. En plus, les conditions idoines de travail et un peu plus de sérieux dans la gestion des ressources humaines seraient un plus dans la tentative de redressement de notre éducation qui meurt à petit feu.
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