On ne mange pas les chiffres
Dernièrement, un ami togolais qui avait besoin d’infos pour écrire un billet sur le Cameroun m’a demandé quel était le taux de croissance économique au Cameroun. « Je sais pas », lui ai-je dit. Mais ce matin, j’ai essayé de me renseigner à propos.
Après un tour rapide sur le site « Investir au Cameroun », j’apprends que « Selon Mario De Zamaroczy, le chef de la mission d’évaluation que le Fonds monétaire international (FMI) vient d’achever au Cameroun, le taux de croissance du PIB (Produit intérieur brut) du pays devrait culminer à 6% en 2015, contre des prévisions gouvernementales de 6,3%. » Nul en économie, je décide de comparer ce taux à celui d’autres pays du monde.
Et je me suis bien marré pendant cet exercice. Je n’ai pu me retenir de pouffer de rire en lisant le titre d’un article du Figaro qui parle d’« un bon inespéré de 0,6% pour la croissance au premier semestre » en France. Inespéré, sérieux ?
En jetant un coup d’œil sur les taux de croissance de plusieurs pays, j’ai eu l’impression qu’au Cameroun on s’en sortait plutôt bien. En Afrique, de façon générale, les taux de croissance sont hallucinants : jusqu’à 36,2% pour le Sud-Soudan, 9,9 pour l’Éthiopie, et 5,9 pour le Cameroun en 2014, contre 0,2% pour la France, 1,6 pour l’Allemagne, et même -0,4 pour l’Italie.
Je dois d’ailleurs dire que nos éminents économistes se félicitent de ces chiffres et s’en servent même pour conclure que tout va bien au pays, et que l’émergence 2035 n’est pas qu’un slogan creux, un rêve irréalisable. Normal, depuis 2011 au moins, le taux de croissance économique est en perpétuelle hausse. Bravo, messieurs les grands ambitieux, bravo !
Mais pourquoi donc le Camerounais lambda ne ressent pas les répercussions de cette bonne santé économique au quotidien ? Pas plus tard qu’en 2008, les jeunes sont descendus dans la rue pour protester contre l’augmentation des prix des denrées de première nécessité. On leur a tiré dessus sans ménagement. Pourtant l’économie se portait bien, selon les chiffres (2,9%, c’est pas rien, la France était à 0,2 et l’Allemagne à 1,1…).
Nos économistes et autres politiciens sans scrupules doivent comprendre qu’on ne mange pas les chiffres ! Non, les beaux discours et les statistiques élogieuses n’ont jamais créé des emplois pour les jeunes diplômés qui chôment dans les 10 régions du pays ; les prévisions optimistes et les projections en 2035 n’ont jamais nourri les Camerounais affamés et assoiffés ; de même qu’on ne construit pas l’étage avec la bouche, on ne développe pas un pays avec les chiffres.
Tandis que le taux de croissance économique grimpe d’année en année, le panier de la ménagère, lui, se vide, les emplois se font de plus en plus rares, l’éducation se dégrade. De toute façon, le jour où je mangerai à ma faim et boirai à ma soif, le jour où je pourrai me loger décemment et me soigner sans avoir à m’endetter, le jour où mes frères sortis des grandes écoles auront de l’emploi sans se compromettre ou corrompre, ce jour-là, quel que soit le pourcentage de croissance économique, je saurai que le pays est sur la bonne voie.
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