Le vélo, autrement
Mon histoire avec le vélo a commencé il y a très longtemps. À l’époque, j’étais élève en classe de quatrième dans un lycée de Bafoussam, à l’ouest du Cameroun. Je me souviens que cette année-là, un de mes oncles m’avait promis un vélo si je réussissais au BEPC. Ok, j’avoue, je lui avais un peu forcé la main, mais le résultat était le même : j’allais recevoir un vélo, si je réussissais mon examen.
Pendant les vacances, pas une nuit ne passait sans que je rêve de mon vélo. Je l’imaginais beau, vert, avec des roues noires, toutes neuves. Je m’imaginais parcourant toutes les routes de mon quartier, allant à l’école, faisant tout avec mon vélo. Mais je n’ai jamais eu mon vélo cette année-là, ni les autres d’ailleurs. Mon père ne m’a pas autorisé à présenter l’examen en quatrième car mes notes ne le satisfaisaient pas.
La ville des deux roues
Mon histoire avec le vélo a repris plusieurs années plus tard, après une longue pause. J’étais alors enseignant dans un établissement de la ville de Maroua, à l’extrême nord du Cameroun. Ce qui a tout de suite attiré mon attention en arrivant à Maroua, c’était l’abondance d’engins à deux roues. Partout où j’allais il y avait des vélos et des motos. Même à l’école.
À Maroua, j’ai redécouvert le vélo. Ce n’était pas cet engin à deux roues que seuls les enfants de riches possédaient dans certaines zones du pays. Non, c’était plus que cela.
Égalité des genres
La première fois que j’ai vu certaines de mes élèves de sixième enfourcher leurs montures et pédaler sans peine, j’étais hébété. Jusqu’ici, j’avais vu très, très peu de fillettes ou de demoiselles aller à vélo. D’ailleurs, certaines auraient considéré comme un affront le simple fait de leur proposer de grimper sur un de ces chevaux de fer ! Mais non, à Maroua, les filles, comme les garçons, possédaient leurs vélos, et les utilisaient sans retenue.
Je n’oublierai jamais ce 5 octobre, journée mondiale des enseignants, où j’ai vu des collègues – femmes – en tenue et qui, en attendant que le défilé commence, faisaient des tours sur le vélo d’un autre collègue. Nous étions tous ébahis.
À vélo, de 7 à 77 ans
Il y avait des moments où je me demandais de quel bois étaient faits les habitants de Maroua. Et ces interrogations survenaient généralement chaque fois que je voyais passer, pédalant doucement un vélo qui devait être aussi âgé que lui, un vieillard respectable et grave, sa gandoura flottant derrière lui et sa chéchia vissée sur sa tête.
Parfois aussi, il s’agissait d’une « dada », son foulard sur la tête et une jeune fillette assise en amazone devant elle, entre la selle et le guidon, qui allait au marché son sac de vivres attaché au porte-bagage. Ces scènes, bien que fréquentes, ne manquaient jamais de susciter mon admiration. Oui, car dans une zone où on refusait parfois l’éducation et même la parole aux filles et aux femmes, il existait tout de même un objet qui effaçait non seulement les différences de genre, mais en plus, qui cassait toutes les barrières que la différence d’âge dessait.
Plus de vélo
Aujourd’hui, je ne suis plus à Maroua. Je n’ai pas encore oublié ce que j’y ai appris. D’ailleurs, je compte bien écrire une belle fin à l’histoire de mon vélo, commencée il y a tellement d’années. En attendant, j’ai déjà offert à mon fils son premier vélo –bleu et jaune. Et, qui sait, si un jour j’ai une fille, elle aura certainement le sien, rose et blanc. Vive le vélo.
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