La CAN, les CANards et les CAFards

Article : La CAN, les CANards et les CAFards
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5 décembre 2018

La CAN, les CANards et les CAFards

Certains camerounais ont entrepris de mesurer le patriotisme ou l’antipatriotisme de leurs compatriotes à la quantité de larmes versées suite au récent, mais très prévisible retrait de l’organisation de la CAN dont le Cameroun a écopé. En d’autres termes, les patriotes seraient ceux qui feignent la surprise, ressentent douleur et honte, et défendent le pays bec et ongles, face à cette énième humiliation que le pays subit à l’échelle internationale. Les autres sont anti-patriotes indignes de la nationalité camerounaise.

La théorie du complot

Honnêtement, je doute de la sincérité de ceux de mes compatriotes qui affichent une quelconque surprise face à cette décision de la CAF. C’était prévisible, et d’ailleurs plusieurs avaient tiré la sonnette d’alarme il y a de cela plusieurs années, indiquant qu’au vu de l’avancement des travaux le Cameroun risquait de ne pas être prêt le jour dit. Pourquoi être surpris aujourd’hui ?

Dans les chaumières et sur les réseaux sociaux, l’actuel président de la CAF est pointé du doigt : pour la plupart des CANards (néologisme qui désigne ceux des camerounais qui sont opposés au retrait de l’organisation de la CAN), Ahmad Ahmad est arrivé au sommet de l’instance faîtière du football Africain avec l’intention manifeste, dans un esprit de revanche, de mettre le Cameroun en difficulté par tous les moyens.

Cette théorie se justifie par les déclarations jugées déplacées faites par lui il y a quelques temps, affirmant que le Cameroun n’était même pas capable d’organiser une CAN à 4 équipes. La modification unilatérale du cahier de charges qui a fait passer la compétition d’une CAN à 16 à une CAN à 24 est également évoqué comme preuve à charge contre l’accusé.

Les CANards, au lieu de chercher les vrais responsables de cette déconvenue, préfèrent se limiter à ce qui les arrange. D’ailleurs, il se dit que c’est le Maroc qui tire les ficelles dans l’ombre, et qui complote pour le retrait de la compétition au Cameroun. Les vraies questions sont pourtant occultées et je m’en vais les poser :

Les stades prévus pour accueillir la compétition sont-ils prêts ? On sait que ce n’est pas le cas. Mais alors, quel est leur pourcentage de complétion ? Et qu’en est-il des autres infrastructures : routes, hôtels, etc ? La situation sécuritaire est-elle satisfaisante ? On parle quand même d’un pays où le ministre de la défense himself s’est fait canarder par les sécessionnistes lors d’une visite en zone anglophone !

Pour justifier ces nombreuses insuffisances, les CANards citent des exemples de pays qui ont organisé des compétitions dans des contextes d’insécurité ou bien avec des infrastructures pas entièrement achevées. Bien sûr c’est un argument qui ne tient pas, parce qu’on ne saurait écarter la norme pour ériger ce qui est mal fait en loi.

La CAF aurait pu fermer l’oeil sur les nombreuses insuffisances que chacun d’entre nous a relevées, mais elle n’y était pas obligée. Que l’équipe du Togo ait subi une attaque lors de la CAN 2010 en Angola ne justifie pas qu’on remette la sécurité d’autres équipes en jeu. Que certains pays aient organisé la CAN dans des stades inachevés n’oblige pas le bureau actuel de la CAF à faire la même faveur au Cameroun.

Sachant que le nouveau président de la CAF avait une dent contre nous (en supposant que cette théorie est vraie), on aurait dû prendre toutes les dispositions pour ne pas nous retrouver dans la posture où il peut décider de notre sort – déjà qu’il n’a pas décidé seul. Autrement dit, on aurait dû tout mettre en œuvre pour respecter notre cahier des charges, livrer nos stades à temps et régler les soucis de sécurité.

Les CAFards sont les vrais patriotes

Lors d’une visite effectuée récemment au pays des crevettes, le président de la CAF a indiqué que ce sont les Camerounais qui lui disent que les constructions n’avancent pas à un rythme satisfaisant. “L’ennemi, a-t-il conclu, est à l’intérieur.” Et pourtant…

Ceux qui sont aujourd’hui appelés CAFards (autre néologisme qui désigne les Camerounais qui soutiennent la décision de la CAF) et qu’on considère comme l’ennemi, sont ceux-là qui ont passé le temps à interpeller les autorités sur l’éventualité qu’on ne serait pas prêts à temps pour organiser la compétition à la hauteur de nos ambitions. Si certains d’entre eux ont réussi à attirer l’attention du président de la CAF, c’est une bonne chose, parce que ses sorties et mises en garde ont contribué à mettre la pression au gouvernement. Même si au final cette pression n’était pas suffisante, elle a sans doute permis qu’on ait ce qu’on a aujourd’hui en terme d’avancée des travaux.

Certains CANards semblent tellement aveuglés par le désir de défendre ce qu’ils estiment être un complot bien huilé ourdi contre le pays de Roger Milla et de Samuel Eto’o qu’ils perdent de vue qu’il y a une différence entre aimer son pays et justifier la médiocrité et l’incompétence. Car en réalité, les CAFards ne sont pas contre le Cameroun. Au contraire, ils sont contre les dirigeants irresponsables et incapables qui en quatre ans ont été incapables de terminer la construction de stades et d’autres infrastructures même après en avoir multiplié les coûts de construction.

Depuis quand le patriotisme se limite à la défense d’individus qui ont donné toutes les assurances et qui malgré les mises en gardes n’ont rien fait pour respecter leurs engagements ? Accuser Ahmad Ahmad, la CAF, le Maroc est tout simplement ridicule, sauf si ce sont ces derniers qui nous ont demandé de ne pas commencer à construire les infrastructures devant abriter la compétition à temps.

Et 2021 dans tout ça ?

Il paraît que la CAF – le président en réalité – a décidé de retirer l’organisation de la CAN 2021 à la Côte d’Ivoire pour l’attribuer au Cameroun – si je raisonnais comme les CANards, je dirais que le Cameroun est en train de tirer les ficelles dans l’ombre pour que la CAN soit retirée à la Côte d’Ivoire. C’est une information que je prends avec des pincettes, bien qu’elle vienne du président de la CAF qui, devenu devin, prédit que le pays des éléphants ne sera pas prêt dans deux ans. Mais le Cameroun sera-t-il prêt en 2021 ? Les infrastructures seront-elles achevées ? La situation sécuritaire se sera-t-elle améliorée ? Ce sont autant de questions qu’il faudra d’abord régler pour éviter une deuxième humiliation.

Photo : Stade Ahmadou Ahidjo 2014, Bdx via Wikimedia Commons

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Commentaires

Cédric
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Toujours la même chose dans ce pays. Ceux qui sont contre la médiocrité sont des anti patriotes. Il faudrait que les « vrais patriotes » nous expliquent ce qui les pousse à se complaire dans cette médiocrité.