Ce que ça coûte d’être enseignant au Cameroun

Article : Ce que ça coûte d’être enseignant au Cameroun
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29 mars 2017

Ce que ça coûte d’être enseignant au Cameroun

Au Cameroun, on a tendance à considérer les fonctionnaires comme des privilégiés (ce qui n’est pas entièrement faux). On envie la stabilité de leur emploi, la régularité de leur paye et beaucoup d’autres avantages réels ou imaginaires. Parmi ces privilégiés figurent en bonne place les enseignants qui, selon plusieurs, sont grassement payés pour fournir un minimum d’efforts (ils auraient quelques jours de travail seulement par semaine, et trois mois de vacances payées). Ce que beaucoup d’entre nous ignorent, c’est que le métier d’enseignant au Cameroun est un vrai chemin de croix, et qu’il faut s’armer de courage et de patience pour pouvoir tenir la distance.

Concours de patience

Immédiatement après la sortie des écoles normales, les jeunes enseignants sont affectés – dans des coins enclavés pour la plupart. Pour y aller, le ministère met à leur disposition les frais de relève, une somme d’argent calculée en fonction de la distance entre le lieu de formation et le lieu d’affectation, et remise à l’enseignant pour lui permettre de rejoindre son poste d’affectation. Ça, c’est le principe : sur le terrain c’est autre chose, les délégués régionaux des enseignements secondaires, qui depuis quelques années sont chargés du paiement de ces sommes, ne sont généralement pas pressés de les verser aux intéressés. Donc, il faut attendre. Attendre que le délégué veuille bien signer les documents nécessaires au payement des fameux frais. Généralement, découragés d’attendre tous les jours devant la délégation, les enseignants se résolvent à rejoindre leurs postes à leurs propres frais. « L’argent est bon à tout moment », dit-on chez nous. Juste que le jour où ils seront payés (parfois un an après, parfois jamais), ils se rendront compte que les montant ne varient plus en fonction de la distance, mais dépendent plutôt du bon vouloir du délégué régional.

Mais le plus dur reste à venir, car si les listes d’affectations sont généralement disponibles en ligne dès le jour de la sortie de l’école, la prise en charge, quant à elle, reste une donnée floue. Il faut attendre en moyenne deux ans pour que le dossier d’intégration suive son cours, tout en espérant qu’il ne disparaisse pas dans les bureaux poussiéreux du Ministère de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative (MINFOPRA), auquel cas il faudra reconstituer le dossier en entier et recommencer le processus à zéro. Puis, il faut attendre, attendre, attendre. Mais pire, il faut travailler en attendant. Il faut être au poste, se vêtir convenablement, se nourrir, se loger, et avoir un rendement satisfaisant. Tout ça, le ventre et les poches vides. Au quartier, on vous dira, « Oui, mais après ton rappel sera plus consistant ». La bonne excuse ! Et en attendant, les bailleurs laisseront-ils ces enseignants vivre dans leurs maisons pour rien ? Les taximen les transporteront-ils à crédit ? Les bayam-sellam (revendeuses de denrées alimentaires) leur donneront-ils des vivres pour leurs beaux yeux ? Ceux qui sont dont las d’attendre et qui veulent booster l’évolution de leurs dossiers doivent laisser quelques billets…

Le bon réseau

En réalité, pour s’en sortir en tant qu’enseignant au Cameroun, il ne suffit pas d’être patient. Il faut encore pouvoir capter le bon réseau. Parce que, quel que soit le problème qu’on a, il faut « encourager » les agents en charge de son traitement, soit avec quelques billets, soit en cédant un pourcentage du montant à percevoir, lorsqu’il s’agit d’argent. Et les choses sont tellement « bien » organisées qu’il faut monter un dossier pour tout. Tenez : dès la sortie de l’école, il faut faire un dossier de frais de relève, ensuite un dossier d’intégration et un dossier de prise en charge. Quand on est enfin intégré et pris en charge (après un long processus qui peut durer jusqu’à 5 ans), il faut encore faire un dossier pour le rappel des indemnités de logement, puis un autre pour le rappel des primes d’évaluation, un autre pour obtenir ses arrêtés d’avancements (un fonctionnaire avance en échelon tous les deux ans) et encore un autre pour que le salaire soit réajusté après qu’on ait avancé en échelon, etc. Bien sûr, chaque dossier s’accompagne de beaux billets de banque ou de 15% à 20% du montant à percevoir, et ces billets ne garantissent pas que les dossiers aboutiront à la première tentative. Et c’est pareil quand on veut être muté ou nommé.

À cause de la lenteur du processus d’intégration, notre administration a eu la formidable idée d’avancer les 2/3 du salaire de base aux enseignants quelques mois après la sortie, le temps que les dossiers d’intégration soient traités. L’idée n’était pas mauvaise, en théorie. Parce que, sur le terrain, c’est tout autre chose qu’on observe. L’avance de solde comme on l’appelle communément, censée régler le problème de la longue attende due au traitement des dossiers d’intégration, met elle aussi 2, 3, 4 ans ou plus avant d’être payée. Mais pire, pour l’avoir il faut passer par des réseaux de corruption. Sinon, même après 5 ans le dossier sera toujours en cours de traitement. Ensuite, pour recevoir la totalité du salaire, c’est un autre dossier et d’autres billets distribués, d’autres pourcentages cédés. En attendant, les plus chanceux continuent à recevoir de l’argent de leurs parents, d’autres se débrouillent comme ils peuvent avec les cours de vacation ou de répétition, d’autres encore sont logés par des inconnus comme cette jeune collègue interviewée dans cet article.

Finir pauvre et très endetté

Au Cameroun, les fonctionnaires ont un salaire de misère. On ne s’en rend pas forcément compte parce que la plupart d’entre eux créent des réseaux de corruption ou bien usent de divers subterfuges pour arrondir leurs fins de mois. Par exemple, les fonctionnaires qui touchent par bons de caisse (parce qu’ils n’ont pas voulu glisser 10.000 francs aux agents du Ministère des Finances pour qu’on vire rapidement leurs salaires dans leurs comptes bancaires) n’obtiennent jamais la totalité de leur argent. Les guichetières n’ont jamais la petite monnaie. Ainsi, chacun laisse à ces dames 50, 100, parfois même 500 francs ou plus chaque fois qu’il va recevoir son dû. Au bout d’une journée, elles doivent se faire une fortune. Et c’est comme ça dans presque tous les services gérés par des fonctionnaires au Cameroun.

Malheureusement pour les enseignants – du moins, ceux qui n’ont pas de poste dans l’établissement – ce genre d’avantage n’existe pas. Leurs « clients » n’ont rien d’autre à leur offrir que la participation aux cours, et même ça, c’est déjà assez compliqué à obtenir. Donc, dans le contexte camerounais, l’enseignant est parmi les plus pauvres – exception faite des certains proviseurs qui vendent les places aux enchères et de ceux qui travaillent dans les ministères et qui prennent des pourcentages à leurs collègues pour traiter leurs dossiers.

Travailler pour les autres

Voilà donc, en résumé, ce que ça coute d’être enseignant dans un pays comme le Cameroun. Tandis que les fonctionnaires sortis de certaines grandes écoles reçoivent des bourses et ont leurs salaires quelques deux ou trois mois après la sortie, l’enseignant, lui, doit partager tout ce qu’il reçoit comme argent avec d’autres fonctionnaires qui ne l’ont pourtant pas aidé à travailler. 50.000 francs pour faire passer un dossier, 20% de son rappel, 350.000 pour être muté ou nommé, à la fin d’une carrière, on se rend compte qu’on a passé le temps à travailler pour enrichir d’autres personnes.

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Depuis lundi 27, rassemblés sous la bannière du « Collectif des Enseignants Indignés », certains enseignants ont lancé un mouvement de grève pour réclamer le paiement de leurs salaires et primes (près de 20.000 dossiers en attente de validation au ministère des finances), exiger l’abolition du système des 2/3 et l’automatisation effective de certaines procédures comme le paiement du rappel des indemnités de logement et des avancements d’échelon. Jusqu’ici, les autorités leur demandent d’attendre, mais n’agissent pas. Les enseignants, quant à eux, sont déterminés à ne rentrer en classe qu’après avoir été payés.

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Commentaires

Sergeobee
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Éventuellement ils pourraient être maltraités, si ça ne les concernait uniquement, et de façon ponctuelle. Le problème, c'est qu'ils sont les garants du Cameroun de demain. Les maltraiter, c'est hypothéquer l'avenir du pays pour au moins trois générations : les parents, les enfants et celle qui va supporter le coût des enfants mal intruits.

Un peu de patriotisme, juste un peu.

leyopar
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Je suis sur le cul. Je savais déjà que ce n'est pas facile, mais la c'est le parcours du combattants... Si la jeunesse est le fer de lance de la nation ; ne serait il pas conseillé que ceux qui doivent les encadrer soient dans de bonnes conditions ? #Justasking

Fotso Fonkam
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En réalité je n'ai pas cité tout ce qui se passe pour ne pas être trop long. Il y a par exemple ces agents qui a l'époque décollaient les timbres dur les dossiers des fonctionnaires pour les revendre. Le pauvre fonctionnaire était obligé de refaire le dossier à zéro. La réalité sur le terrain est pire que ce qu'on peut imaginer. C'est tel que, même pour recevoir sa pension retraite il faut chercher un réseau, sinon tant pis. Le système est vraiment pourri

Abdou rachid
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Le Cameroun ne sera jamais développé si l'éducation n'est pas prise au sérieux

Christian
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Je valide à 100% l'éducation est la fondation si l'on veut avoir un Cameroun digne de ce nom demain, il faut qu'on éduque pour changer les mauvaises mentalités.

Yossa
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Tout ceci est fait expres. Maltraiter ceux qui ont la libre pensée, il en est de meme des musiciens, c'est les prendre en otage et les rendre dépendants des piètres politiciens et de ceux qui n'ont rien dans la tete.