La guerre des langues
Le 20 mars dernier, journée internationale de la francophonie, j’ai eu un court – trop court – échange sur twitter avec la mondoblogueuse Mariam Sorelle au sujet de l’impact positif que cette organisation pouvait avoir sur les langues nationales africaines. Tout est parti d’un tweet de Mariam dans lequel elle citait Albert Lourde. Ce dernier affirmait que « La Francophonie doit aider les enfants à être formés dans leurs langues nationales avant le Français ». Abondant dans son sens, Mariam essayait de me faire comprendre que la francophonie pouvait œuvrer pour le développement des langues et de la culture de ses états membres situés en Afrique. Inutile de dire que je n’étais pas de son avis.
Langue et culture
Ce qu’il faut savoir, c’est que la langue est indissociable de la culture. C’est la raison pour laquelle la langue est l’un des moyens les plus rapides pour propager une culture donnée. Parler une langue, c’est utiliser des mots et expressions qui renferment une panoplie d’éléments culturels que le locuteur découvre et assimile à force de les utiliser. Apprendre une langue signifie automatiquement s’imprégner de la culture dont elle est issue. Je cite parfois l’exemple de ces étudiants de l’Université de Maroua qui, pendant qu’ils apprenaient le Chinois, se sont vus attribués des noms chinois – un peu comme dans l’histoire de Kunta Kinté.
Durant mes années de lycée, tous les enseignants d’Espagnol que j’ai eu avaient des prénoms « hispanisés » – Don Pédro au lieu de Pierre, Roberto en lieu et place de Robert etc. De plus, la seule danse que j’ai eu à apprendre de toute ma vie, c’est la salsa. Et c’était au « Club Espagnol » de mon établissement. Changer son prénom et danser une danse étrangère peuvent sembler anodin, pourtant, ce sont des éléments culturels très importants.
Pour en revenir au Français, son omniprésence dans les pays Africains membres de la francophonie implique forcément que des éléments de la culture française se sont infiltrés dans l’environnement des populations. Et c’est normal, vu que dans la plupart de ces pays, le français est à la fois langue officielle et langue d’instruction. Il est donc curieux d’entendre dire que la francophonie œuvre pour le développement des cultures Africaines.
Combat à mort
Le rapport entre plusieurs langues dans une même zone est généralement conflictuel, chacune essayant de dominer, de phagocyter l’autre. C’est à peu près le rapport qui existe entre le français et les autres 280 langues qui existent au Cameroun. « À peu près », parce que ces dernières ne font clairement pas le poids. Par ricochet, la culture locale est mise à mal par la culture occidentale qui se dilue aux rares éléments culturels qui subsistent (à travers des éléments linguistiques comme le Camfranglais[1], notamment).
À ce niveau, je pense que la question à se poser est la suivante : la francophonie serait-elle prête à se faire hara-kiri ? Parce que, à bien y réfléchir, développer les langues nationales africaines conduira, dans le meilleur des cas, une diminution de l’influence du Français en Afrique.
Développer les langues et la culture nationales
Développer les langues et la culture nationales passe par certains mécanismes qui, s’ils sont mis sur pied, risquent de porter un coup mortel aux langues utilisées actuellement dans les écoles et dans l’administration. Développer une langue c’est l’utiliser au quotidien. Développer une langue, c’est développer une littérature dans cette langue. Développer une langue, c’est l’enseigner, et l’utiliser comme outil d’enseignement.
Quel sera le statut du français si les pays membres, pour développer les langues nationales, décidaient d’utiliser ces dernières comme langues officielles ? Ou alors, si désormais les langues nationales devenaient les langues d’instruction ? Qu’adviendrait-il du français si, en cours de littérature dans les lycées Camerounais, on étudiait des œuvres écrites en Ewondo, en Ghomala ou en Bayangui ?
Je ne saurais faire de procès d’intention à la Francophonie, ni remettre en doute sa capacité à s’impliquer dans le développement des langues nationales Africaines. Pourtant, je reste sceptique quant à la mise en œuvre effective de mesures visant à donner plus d’envergure à nos langues, tout en espérant que le temps et les faits me donnent tort…
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[1] Le Camfranglais est un parler très rependu dans la zone francophone du Cameroun et qui est un mélange de français, d’anglais et de mots tirés de différentes langues nationales
Crédit photo de couverture: © Getty Images / Michel Gounot
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