L’hommage aux morts, vu par des Camerounais…
Le 16 octobre, ma belle-sœur est décédée des suites d’une maladie aussi courte qu’inexplicable. Pendant trois semaines, la famille s’est régulièrement réunie pour lui organiser des obsèques dignes de ce nom. Trois semaines de cotisations, trois semaines de privations, trois semaines d’emprunts contractés çà et là, pour que, le jour fixé pour l’enterrement, tout se déroule « dans les règles de l’art ». Et ce fut le cas. Samedi 7 novembre, la défunte a été inhumée et, au vu de la cérémonie à laquelle j’ai assisté, je peux dire que les petits plats ont été mis dans les grands. Quel gâchis…
Au Cameroun, la réussite d’une cérémonie (qu’il s’agisse d’un évènement heureux ou malheureux) dépend de la grosseur du plat que chaque invité – et de chaque je-m-invite – et du nombre de bières que chacun ingurgite. Et en me basant sur ce critère, je puis vous assurer que les obsèques de ma belle-sœur étaient plus qu’une réussite. On a mangé, on a bu à n’en plus pouvoir.
Toute la famille a contribué pour l’occasion, chacun selon ses capacités. Même les jeunes du quartier ont mis la main à la pâte. Il fallait, disait chacun, rendre hommage à la sœur, à l’amie, à la fille, à la nièce. Moi, j’ai regardé toute cette agitation avec un arrière-goût amer dans la bouche – et ce n’était pas à cause des quelques FCFA que j’avais donnés comme contribution personnelle.
Ma belle-sœur, je dois vous l’avouer, était une demoiselle au grand cœur. Ceci explique certainement cette envie de lui rendre un dernier hommage retentissant. Pourtant je ne parviens pas à expliquer pourquoi il faut attendre qu’elle décède pour venir lui rendre un prétendu hommage.
Sans emploi et ayant un enfant dont le père n’était pas exactement ce qu’on pouvait qualifier de responsable, la vie de belle-sœur n’était pas rose. Il fallait qu’elle se débatte comme une vraie diablesse pour assurer le lait à son enfant. Et elle n’y parvenait pas toujours. Je me souviens de cette fois où, lasse de quémander de l’argent à sa mère ou à sa sœur (qui lui en donnait toujours quand elle en avait), elle avait dû donner à son fils de plus d’un an le lait de mon fils qui venait de naître !
Je peux compter le nombre de fois que je l’ai vue bien coiffée ; je peux compter le nombre de fois que je l’ai vue bien mise. Non, elle vivotait avec presque rien, et se débrouillait à élever son fils convenablement. Et lorsque je vois les moyens qui ont été mis en jeux pour lui « rendre hommage » je me dis que c’est dommage.
Autant de nourriture mangée en une seule soirée pour « pleurer dignement » celle qui ne parvenait pas toujours à manger à sa faim de son vivant… Autant de boissons bu en un clin d’œil pour enterrer quelqu’une qui ne buvait pas autant qu’elle l’aurait souhaité… Pourquoi sommes-nous toujours incapables d’aider les gens quand ils en ont le plus besoin ? Je n’arrive pas à me l’expliquer.
Tout cet argent cotisé, finalement à qui a-t-il été utile ? L’ami, le frère, la sœur, le père, l’oncle sont-ils vraiment ces gens prêts à s’endetter pour nous organiser des funérailles dignes de ce nom, mais parfois incapables de nous offrir à manger quand on a faim ?
Point besoin de se mettre en quatre pour s’occuper du cadavre d’un être qu’on a regardé souffrir quand il était en vie sans lever le petit doigt, sous prétexte de le remercier pour les bonnes actions posées de son vivant.
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