Les z’héros ne sont pas ceux qu’on croit
Chez nous au Cameroun, on a coutume de dire que « chacun ne gratte que l’endroit qui le démange ». Ces derniers jours, j’en ai eu la preuve par 100 (millions). Au moins… Depuis que les obsèques de la regrettée Françoise Foning ont été décrétées officielles par très grand Roi Magellan, souverain de la république du Sommeillistan, j’avoue que je n’ai pas arrêté de me poser des tas de questions. Il semble en effet évident que chez nous, par un décret on peut faire de vous un héros ou bien un maquisard apprenti-sorcier. Mais le plus grave, c’est la façon scandaleuse dont ces z’héros sont célébrés.
Il y a quelques mois, sous l’initiative du blogueur Florian Ngimbis, un groupe de jeunes a fait un pèlerinage sur la tombe de Ruben Um Nyobè dont les combats, bien qu’ils ne soient pas assez mis en lumière par le régime en place, ne sont pas pour autant ignorés par le Camerounais lambda.
Du récit de ce voyage au cœur de l’histoire du Cameroun que le blogueur a publié, l’un des aspects qui m’ont frappé c’est sans doute l’état de négligence dans lequel se trouve la tombe du Mpodol*. Entourée de broussailles désormais trop hautes pour qu’on se rappelle que là gît un grand homme, la sépulture semble oubliée par les autorités qui, lors de la visite, n’ont pourtant pas tardé à rappliquer pour demander des comptes aux visiteurs – donc ils savaient même qu’il y avait un tombeau à cet endroit ? Fallait-il en espérer plus pour l’un de ceux que le Roi a traité dernièrement de « maquisards » en les comparant à Boko Haram ? Certainement pas.
Un peu plus récemment, une vieille question refaisait surface chez nous, celle du rapatriement des restes du Président Ahidjo mort et enterré en exil. Et comme d’habitude, les griots ont saturé les ondes pour essayer d’expliquer l’inexplicable et justifier l’injustifiable. Et puis, plus rien. Aucune action entreprise, aucun respect pour la dépouille du premier Président du Cameroun. Pourtant, ce n’était pas un maquisard – du moins, pas à ma connaissance. Alors, pourquoi lui refuser les honneurs dus à son rang, ne serait-ce que pour la fonction qu’il a occupée et qu’il a cédée sans y être forcé ? Question à 100 millions de francs CFA Biya.
On pourrait croire après tout ceci que notre régime ne sait pas honorer ses dignes fils. Et pourtant… Il n’y a pas longtemps, le maire de la Commune Urbaine de Douala Ve a perdu la vie dans un accident de la route. Et c’est là que le régime des flammes a fait ses preuves : obsèques officielles, discours élogieux, la totale, quoi!
Et tandis que les restes du Président Ahidjo pourrissent lentement au Sénégal comme s’il était un vulgaire apatride, tandis que les tombes de nationalistes sont envahies par la broussaille et leurs actions lentement rayées de la mémoire des jeunes Camerounais, tandis que les soldats tombés au front sont enterrés sans que le Chef des Armées ne pointe le bout de son nez royal, le pays dépense des millions pour construire un caveau à leur z’héroine en remerciement de son soutien sans faille à l’Empereur Camerouno-suisse.
Un caveau d’environ 100 millions de FCFA pour Foning Françoise. https://t.co/F5w96W8yuo
— Tadajeu (@ulrichtadajeu) 24 Mars 2015
Combien ce deuil a-t-il coûté au contribuable gouvernement des flammes ? Voilà une question qui n’aura certainement jamais de réponse. Mais tout Camerounais sait que la facture a été salée. Ce qui est étonnant, paradoxal même, c’est que tous ces millions auraient pu servir à améliorer l’état de la route qui a causé le décès de Mme Foning, et qui chaque jour fait de plus en plus de victimes dans notre pays. Oui, car pendant que des millions sont dilapidés en dépenses futiles, le trou qui a causé l’accident de cette dame est toujours là, sur la route, prêt à boire plus de sang.
Pendant que des centaines de millions sont dépensés en caveaux luxueux et en frais de ceci ou de cela, les hôpitaux manquent cruellement de matériel de pointe ; et ce sont ces mêmes hôpitaux qui n’ont pas pu soulager Mme Foning et qui l’ont vu mourir avant qu’on ne puisse l’évacuer.
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* Mpodol : porte-parole du peuple. C’était le surnom de Um Nyobè.
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