Nos universités ne fabriquent pas de «Prince Aimé»

Article : Nos universités ne fabriquent pas de «Prince Aimé»
Crédit:
1 février 2015

Nos universités ne fabriquent pas de «Prince Aimé»

Il y a une dizaine d’années environ, l’artiste musicien camerounais Prince Aimé créa la surprise avec sa chanson intitulée « Viviane ». Ce qui rendait la surprise encore plus agréable, c’est que cet artiste était aveugle. Ça faisait plaisir de voir un handicapé faire autre chose que mendier. En réalité, on a cru pendant longtemps que le dénuement dans lequel vivent certains handicapés était causé par leur manque de volonté de se battre. Et pourtant…

Dans nos universités, on rencontre un grand nombre de handicapés qui s’en sortent plutôt bien. Je me souviens que le meilleur étudiant de ma promotion en lettres bilingues à l’Université de Yaoundé 1, à l’époque, était aveugle. Cependant, s’occuper d’un enfant handicapé nécessite beaucoup de sacrifices et implique beaucoup de dépenses.

C’est dans l’optique de soulager les familles modestes dont l’un des membres est handicapé que la loi n°2010/002 du 13 avril 2010 portant protection et promotions des personnes handicapées a été adoptée et promulguée.

D’après cette fameuse loi, dans toutes les universités d’État, les étudiants handicapés doivent être dispensés du paiement des frais de pension. « Gloire à Paul Biya, pourfendeur des inégalités sociales » ? Que nenni ! Jusqu’à présent cette loi n’a JAMAIS été appliquée tout simplement parce que son décret d’application attend toujours la signature du président de la République – avec la loi anti-manifestations antiterroriste, il n’a pourtant pas tardé à signer ce décret, et ce malgré les contestations.

Voilà donc cinq ans, cinq bonnes années, que le gouvernement envoie systématiquement dans la rue tout étudiant handicapé qui aurait la prétention de s’instruire dans l’espoir de se forger un avenir radieux, loin des carrefours et autres lieux où foisonnent mendiants et indigents. Un handicapé n’est pas un mendiant. Pourquoi donc, dans les universités, on essaie de les forcer à en devenir ? Quand on sait que même les diplômes n’assurent plus l’emploi, est-il normal qu’on empêche à certains d’en avoir ?

Le handicap n'est pas un handicap! - Crédit photo: ge.ch
Le handicap n’est pas un handicap! – Crédit photo: ge.ch

Il n’y a pas deux semaines, des étudiants handicapés étaient expulsés des amphis, la veille des examens semestriels pour défaut de paiement des frais de scolarité. Que faut-il pour que le Roi Lion, Sa Majesté Paul Biya, l’homme du renouveau et blablabla, prenne quelques secondes de son précieux temps pour signer le décret d’application de cette loi qui redonnera de l’espoir à des milliers de Camerounais ?

Dès l’université, on fait déjà des étudiants handicapés des mendiants. Ces derniers sont obligés de mendier l’indulgence des recteurs ou du ministre des Enseignements supérieurs pour ne pas être expulsés pendant les examens. Et tandis que le roi fait ses voyages onéreux en Suisse ou ailleurs en Europe, nos frères sont expulsés des salles de classe pour un paiement qu’ils ne sont pas censés faire.

Comment ne pas s’indigner devant l’insensibilité des autorités universitaires qui ne semblent pas avoir du temps pour traiter les demandes d’aides qu’elles ont elles-mêmes transmis aux étudiants ? Est-il normal que, depuis l’année académique passée, les demandes d’aide déposées par les étudiants handicapés au niveau des universités n’aient pas encore été traitées jusqu’à nos jours ?

L’administration universitaire a carrément décidé de mettre à l’écart ceux des étudiants handicapés qui n’ont pas les moyens de payer. Car en attendant que les dossiers soient « traités », l’administration promet aux étudiants qui ont besoin d’aide de payer la pension pour être remboursés plus tard, si leur dossier aboutit. Ainsi, à ceux qui ne peuvent pas « préfinancer » leur scolarité dans l’espoir d’un remboursement qui n’arrivera sans doute jamais, l’administration universitaire offre littéralement un bol en aluminium et un coin de rue. Pour mendier.

Mais quand en finira-t-on avec cette clochardisation systématique des handicapés ? Comment peut-on prétendre vouloir les aider, leur faciliter les choses, eux pour qui les choses sont déjà très compliquées, et en même temps être les obstacles qui les empêchent d’avancer ?

Le président de la République et les administrations universitaires DOIVENT prendre les mesures qui s’imposent pour que les étudiants handicapés soient enfin considérés comme des citoyens à part entière. Ces derniers ne demandent que cela. Notre gouvernement, apparemment, ne fait rien pour que les Prince Aimé, les Talla André Marie, les Coco Bertin (artistes musiciens, tous aveugles) soient nombreux dans ce pays. Ils ne veulent pas que d’autres Somb Lingom (mon camarade de fac, aveugle et aujourd’hui brillant journaliste) naissent et prospèrent. Ils semblent redouter que des Tchakounté Kémayou (étudiant handicapé, mondoblogeur et doctorant à l’Université de Douala) soient nombreux au Cameroun. Quelle injustice !

La place d’une personne handicapée n’est pas dans la rue. Un handicapé ne doit pas être voué à la mendicité. Cela doit être su.

Partagez

Commentaires

Josiane Kouagheu
Répondre

"La place de l’handicapé n’est pas dans la rue. Le travail de l’handicapé n’est pas la mendicité. Cela doit être su". Belle conclusion William. Mais, combien de personnes le savent? L’État le sait-il? Tu sais, si tu as lu le quotidien Le Jour de vendredi (30 janvier 2015), tu verras que j'ai fait une enquête sur ces handicapés qui sont maltraités chaque jour au Cameroun (une page entière du journal). Et dans cette enquête, Tchakounté Kémayou m'a d'ailleurs parlé de cette discrimination , mieux, ce non respect des étudiants handicapés à l'université. Au cours de mon enquête débutée en octobre 2014, j'ai suivi deux handicapés de leur maison, à leur métier. J'ai compris leur mal-être. Non William, j'ai vu la discrimination de mes propres yeux. Beau billet. Un billet qui parle de ce Cameroun que nous aimons tous. Un billet qui nous pousse ( gouvernement et peuple) à changer notre pays. Merci!

Fotso Fonkam
Répondre

Merci pour ce commentaire, Josiane. Espérons que ces cris que nous poussons seront enfin entendus.

renaudoss
Répondre

"Un handicap n'est pas un handicap":C'est ainsi que les choses devraient être!
C'est proprement choquant comme état de chose. Mais je dois avouer que ton pays n'est pas le seul.
Très bel article, à diffuser massivement.

Ecclésiaste Deudjui
Répondre

jaime

Serge
Répondre

c'est juste scandaleux quoi... bref, ça démission des Etats africains...

Stephen konan
Répondre

Je soutiens tout les handicapés du monde parce que je viens d'une famille d'une famille d'andicap

Fotso Fonkam
Répondre

On devrait tous les soutenir en effet, qu'on vienne d'une famille d'handicapés ou pas.

BOUTOU ADJAM
Répondre

ce pas juste Bya doit revoir sa position % a cette loi

Marius M. Fonkou
Répondre

Très beau billet William. C'est une triste réalité, ce traitement réservé aux handicapés dans nos universités. On attend toujours qu'ils se surpasse, ils le font mais ils sont traités comme des sous hommes. Que ton cri puisse arriver à l'oreille de "l'homme". Je suis sur qu'il est déjà arrivé à l'oreille de Dieu.

ELSA DIAMOND
Répondre

Merci pour le partage, j'avoue que ton billet m'a apporté un plus...C'est vraiment triste d'en arriver là. Les handicapés vivent dans une marginalisation accrue, la vie en a voulu autrement et la société ne se gêne pas pour les écartés. Un handicapé n'est vraiment pas un mendiant, dans d'autres pays, ils sont mieux traités et au-delà de leur handicap, ces derniers ont des talents cachés
C'est dommage pour l'Etat de ne pas mettre en pratique la loi n°2010/002 du 13 avril 2010 portant protection et promotions des personnes handicapées. Il est urgent de revoir les droits des personnes vivant avec un handicap.