« Cher collègue, bienvenue en enfer » (Troisième partie)

Article : « Cher collègue, bienvenue en enfer » (Troisième partie)
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21 novembre 2014

« Cher collègue, bienvenue en enfer » (Troisième partie)

Il est 14 heures 30 environ, quand je quitte Mengong pour Melane à bord d’une moto, et en compagnie du chauffeur et d’un autre passager. D’après ma Big ressé qui vit à Mengong, on y sera au plus tard à 15 heures (elle m’a dit que le trajet se faisait en 25 minutes). Moi, je suis sceptique. Vous le seriez également, si vous étiez à ma place. Car si on doit payer 2.000 francs pour 25 ou 30 minutes de route alors qu’on paye la même somme pour 2 heures 30 (Yaoundé – Ébolowa), il y a lieu de se poser des questions. Bon, qui vivra verra.

Après que notre chauffeur ait fait le plein, nous voila en route pour Melane. On emprunte la seule route qui existe dans ce coin du pays que je refuse d’appeler ville, en direction du centre-ville (le petit carrefour-là devant). Quelques centaines des mètres après le carrefour, il n’y a plus aucune trace de bitume. On roule sur la terre rouge caractéristique de cette partie du pays. « C’est l’état de la route qui rend le voyage long », m’explique le chauffeur. « On ne peut pas rouler à grande vitesse, de peur de tomber. » En effet, la route a l’air très glissante, mais surtout, elle est accidentée. On roule prudemment. « D’ailleurs, quand il pleut, aucune moto n’accepte de faire ce trajet », dit-il pour terminer. De mieux en mieux. Des deux cotés de la route, la verdure caractéristique des zones tropicales encadre un tronçon de terre qui s’enfonce dans l’inconnu.

« Un tronçon de terre qui s’enfonce dans l’inconnu... »
« Un tronçon de terre qui s’enfonce dans l’inconnu… »

Notre moto file tout droit. Je suis assis derrière l’autre passagère, une femme d’une quarantaine n’années qui vivrait à Melane. Le chauffeur et elle bavardent continuellement, en langue vernaculaire. J’ai l’impression, malgré tout, que la moto roule à une vitesse satisfaisante. En regardant l’heure sur mon téléphone, j’essaie de chronométrer le nombre de temps qu’il me reste avant d’arriver dans le fameux lycée. Environ 20 minutes encore.

Les villages défilent rapidement au bord de la route. Assis à l’arrière de la moto, je scrute chaque plaque espérant lire « Melane » sur l’une d’elle. Surtout qu’on a dépassé  les 25 ou 30 minutes qu’on m’a annoncées comme étant la durée du trajet ! Nous sommes donc là sur la moto, moi cherchant Melane comme on cherche l’entrée de la caverne d’Ali Baba, et mes compagnons de voyage conversant paisiblement, comme des gens qui ne sont pas pressés d’arriver.

À un moment, on croise des élèves en tenue de classe, sur le chemin du retour. Je respire : « Enfin, on n’est plus loin. » Mais bizarrement, personne d’autre ne semble les avoir vus. La moto continue sa course vers Dieu sait où. Je remarque que le chauffeur et la dame devant moi discutent très sérieusement. Je ne sais pas ce qu’ils se disent, mais je devine que ça doit être sérieux. La dame semble même contrariée. Ne venez pas faire votre sorcellerie là ici hein. Allez d’abord me déposer à Melane.

On roule encore. Pendant longtemps. Très vite le temps se couvre, et en moins de 10 minutes, il se met à pleuvoir. D’abord de petites goutes, puis la pluie, la vraie. Sur notre moto, on ralentit. Puis, la pluie ayant encore augmenté d’intensité, le moto-taximan décide carrément de s’arrêter. J’ai envie de protester, de lui expliquer que je ne peux pas courir le risque d’être en retard ; mais je dois me rendre à l’évidence que continuer sous une telle pluie peut s’avérer dangereux, à cause de la route qui glisse de plus en plus.

On s’abrite donc tous, sauf la moto resté garée au bord de la route, sous la pluie. Notre abri est une baraque délabrée en poto poto. Une famille y vit. D’ailleurs, la mère de famille revient des champs, nous adresse ses salutations et entre chez elle. La femme avec qui nous voyageons semble la connaître, car elle va s’entretenir avec elle, me laissant espérer que nous sommes presqu’arrivés.

Quand la pluie commence, on n'a d'autre choix que de s'abriter...
Quand la pluie commence, on n’a pas d’autre choix. Il faut de s’abriter…

Tandis qu’elle cause avec notre hôtesse, j’en profite pour demander au moto-taximan si nous sommes presque arrivés. « La route est encore là », me dit-il. Puis, il m’explique que la dame qui fait chemin avec nous a oublié un de ses sacs dans la voiture qui l’a transportée d’Ébolowa pour Mengong et donc qu’elle ne va pas continuer avec nous. Elle va attendre une autre moto ici, pour repartir à Mengong et essayer de retrouver son sac.

La pluie s’est calmée, donc on reprend la route, mais à deux cette fois-ci. On a laissé l’autre dame et ses sacs à l’endroit où on s’est abrités. La route n’a pas beaucoup changé, juste qu’elle est un peu plus glissante à cause de la boue. Nous, on roule aussi vite qu’on peut. Les villages défilent, et moi je cherche toujours la plaque sur laquelle je pourrai lire « Melane ». De temps en temps, on traverse quelques cours d’eau, de petits ruisseaux aux eaux rougeâtres et sales.

À un niveau, le chauffeur me dit, « C’est ici que le goudron finit. » Hein, père ! Donc depuis là on roulait sur le goudron ? La route est devenue vraiment plus accidentée. Et la pluie de tout à l’heure n’a pas arrangé les choses. Plus d’une fois, je me retrouve en train de poser les pieds par terre, pour empêcher la moto de tomber. D’autres fois, j’abandonne carrément le navire quand il penche trop d’un côté ou de l’autre. Je comprends pourquoi le type m’a dit que le goudron était fini.

Pendant plusieurs minutes, nous sommes aux prises avec la route. La boue, rancunière, s’incruste sur mes vêtements. Mes chaussures quant à elles sont carrément dégoutantes. On parvient enfin à traverser ce tronçon compliqué. « Heureusement que beaucoup de véhicules ne sont pas passés ici avant nous », me dit encore mon chauffeur.

Le voyage continue. On va tantôt vite, tantôt très lentement, selon l’état de la route. Les villages défilent, mais aucune trace de Melane. J’ai même renoncé à lire les noms des villages sur les plaques. Mais chaque fois qu’on traverse une école ou bien qu’on croise des élèves (ce qui est rare) j’ai espoir qu’on ralentisse, qu’on s’arrête. Mais non. La moto roule à la même vitesse. Je remarque que la route n’est pas très fréquentée. Durant tout ce trajet, on a croisé moins de trois motos qui reviennent de Melane !

En causant avec le conducteur, j’apprends qu’à Melane, le réseau téléphonique est instable et  qu’il n’y pas de maison à louer. « Mais un villageois peut t’héberger chez lui pour rien », ajoute-t-il. Dans les maisons en poto poto-là ? Non merci. Mais comment faire donc, puisqu’il sera difficile de vivre à Mengong et d’aller faire cours à Melane. Si en même temps il est impossible de s’installer à Melane parce qu’il n’y a pas de maisons, comment faire ?

On roule encore pendant un certain temps. Puis, impatient, je demande au chauffeur si on est encore loin de Melane. « Non, dit-il. On encore environ 5 villages à traverser avant d’arriver. » J’ai recommencé à compter les villages qui défilaient. Après deux ou trois villages, on croise des enseignants et quelques élèves qui rentrent des classes. « Voila les élèves de ton lycée », dit-il. Mon lycée ? Calmas, mon gars. En tout cas, je suis soulagé qu’on ne soit plus loin. Je suis pressé de découvrir ce fameux lycée qui me cause tant de douleurs au dos…

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Commentaires

Yves Tchakounte
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Je viens de lier ces deux parties de ton récit de voyage et je suis vraiment médusé. Je remarque que nous partageons les mêmes caractères: l'endurance et la persévérance. Que c'est bien, en tout cas!