Stratégie de guerre à la camerounaise: on arme les ennemis au lieu de les combattre
Hier, on apprenait avec joie que les otages pris dernièrement à l’Extrême-Nord Cameroun avaient finalement été libérés par leurs ravisseurs – qui n’avaient pas revendiqué l’enlèvement. Après être revenus de notre soulagement, on a quand même commencé à se poser des questions sur les conditions de libération de ces otages.
Depuis l’épisode de la libération de la famille Moulin-Fournier en 2013, et malgré dénégations des gouvernements français et camerounais qui affirmaient n’avoir payé aucune rançon, la plupart des Camerounais (et des français) sont restés convaincus qu’il y avait eu une compensation conséquente au profit des terroristes. Sinon, pour quelle(s) raison(s) les ravisseurs auraient-ils pu libérer les captifs ? Pas pour nos beaux yeux.
Lorsque, par la suite, le père Vandenbeusch fut à son tour enlevé puis libéré, les deux états ont tenu presque les mêmes discours que pour les Moulin-Fournier, arguant que le prélat avait été libéré « par compassion » – sans rire, qui peut croire à de telles sottises ? Il n’a pas fallu longtemps pour que les rumeurs commencent à courir, estimant que le gouvernement camerounais a eu à payer 7 milliards de francs (soit 10 millions d’euros) pour la libération du prêtre, plus la libération de quelques prisonniers…
Et la série a continué. C’était au tour de la sœur canadienne et des deux prêtres italiens, puis celui des 10 chinois enlevés à Waza, et enfin celui de la femme du vice premier-ministre camerounais Amadou Ali, du lamido de Kolofata et de quelques autres personnes.
Dans chaque cas, il a toujours été question de contrepartie, la plupart du temps financière. Mais pour le dernier cas en date, les ravisseurs sont montés d’un cran. Cette fois, le Cameroun a payé un peu plus de 2 milliards 63 millions 600 mille francs CFA (4 millions dollars), plus la libération de quatre généraux de Boko Haram détenus dans les prisons camerounaises. Mais ce n’est pas tout. En plus de l’argent, le Cameroun a fourni armes et munitions aux islamistes*.
Je me demande sérieusement où est passé le discernement de nos dirigeants. Je suis sans doute nul en stratégie militaire, mais comment peut-on déclarer une guerre « totale » à un ennemi, et avant la fin de la guerre, lui fournir des armes, des munitions et même du personnel ! Bizarrement, sur les chaines locales, on parle d’une victoire de l’armée camerounaise sur Boko Haram, on réaffirme la volonté du président d’en finir avec les islamistes, on chante les louanges du Chef de l’état qui, dit-on, est « soucieux de son peuple. »
C’est peut-être vrai que le président camerounais est soucieux de peuple – moi j’en doute fort. Mais, dans mon coin, je me demande combien de camerounais seront abattus par les armes que nous venons de livrer aux ennemis ? Combien d’attaques meurtrières seront planifiées par les islamistes que nous avons relâchés ? Enfin, combien de camerounais seront recrutés par la secte islamiste, grâce aux milliards que nous venons d’offrir à cette dernière ?
C’est vrai, 27 vies étaient en jeu. Elles ont été sauvées, c’est bien. Mais combien en avons-nous sacrifiées par la même occasion ? Je ne dis pas qu’il fallait abandonner les otages à leur triste sort. Non! Je pense juste que cet échange n’a rien d’équitable. Je pense que nos négociateurs étaient médiocres, ou pire. Je pense enfin que nous nous repentirons bientôt de cet échange désastreux.
* La source est en anglais, donc préparez vos dictionnaires si vous n’avez pas de voisine nigériane comme moi.
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