Au Cameroun, on est blanc ou on est noir
Si vous venez au Cameroun, ne soyez pas étonnés d’entendre dire à quelqu’un : « Tu vis comme un Blanc, hein. Tu manges trois fois par jour ! » pour dire que la personne a une vie de rêve – ici, c’est parfois un repas par jour dans certaines familles. Ou alors « Toi, tu es un vrai Blanc. Tu ne discutes pas toi les prix des articles avant de les acheter, hein. » Je précise en passant qu’il ne s’agit pas de la couleur, mais bien de la race blanche. Pour certains d’entre nous, le blanc c’est la perfection, l’exemple à suivre, la destination à atteindre.
Apparence physique
Un phénomène qu’on observe depuis très longtemps dans notre triangle national, c’est que certaines femmes, du jour au lendemain, deviennent bizarrement très claires de teint – c’est surtout les femmes, mais les hommes s’y mettent également de temps en temps. Posez-leur la question, elles vous répondront qu’elles veulent aussi être belles (comme celles qui ont une peau claire). Donc, pour plusieurs de mes sœurs ici, la beauté c’est la couleur de la peau. On ne peut être belle que quand on a une peau dépigmentée. Ce critère aurait même une influence considérable sur le montant de la dot des femmes dans certaines régions du pays !
Dans un souci d’harmonie, d’homogénéité ou de cohérence, on verra ces dernières s’acheter et se faire coudre ou coller sur leur tignasse crépue, des mèches ou des greffes naturelles. C’est de véritables cheveux d’êtres vivants qu’on coupe et qu’on leur vend ! Chers messieurs, ne cherchez pas à en savoir les prix, vous en perdrez le sommeil. Ainsi, vous verrez une vraie Camerounaise plus blanche qu’une Européenne, et avec la chevelure frisée et abondante qui va avec le teint. Pour la complimenter, dites-lui seulement : « Ma copine, tu es une vraie blanche. » Et vous aurez tout dit.
Expression orale
Si vous voulez aborder une de ces femmes, aiguisez vos oreilles au préalable, sinon vous risquez de ne pas saisir tout ce qu’elle vous dira. Même un Français pur sang aurait du mal à la comprendre. Au Cameroun, nous avons un mot pour désigner cette façon de parler français en imitant les Français : on dira qu’elle whitise – vous avez remarqué qu’il y a encore et toujours ‘white’ (blanc), dans ce mot. Et ne vous avisez surtout pas de lui parler en langue nationale, elle vous enverra au diable. C’est normal, non ? Il faut être belle même dans la voix…
On raconte parfois ici l’histoire de cette Camerounaise qui voyageait pour la France. Dès son arrivée, quand elle appela ses parents pour leur dire qu’elle était bien arrivée, personne chez elle au Cameroun ne put comprendre ce qu’elle disait, tellement elle whitisait. Ses parents ont même d’abord cru à une erreur de numéro ! De nos jours, pas besoin d’aller à Mbenge pour whitiser : dès qu’on a des mèches sur la tête et la peau décolorée, on est qualifiée pour parler comme une white.
Mbeng à tout prix
Pour la majorité des Camerounais (es), l’eldorado, c’est l’Europe. C’est normal, n’est-ce pas c’est chez les Blancs ? Tout y est beau, bien fait, moins cher, agréable. Le paradis, quoi. Qui ne voudrait pas vivre dans un tel endroit ? Alors, tout moyen est bon pour y aller : la traversée du désert, les compétitions sportives, les bourses d’études, le e-mariage, les mariages blancs… On tente tout, on risque tout ; l’essentiel c’est de se retrouver à Mbeng, là où tout est blanc.
Et quand ils y parviennent enfin, attendez qu’ils reviennent passer quelque temps au pays avec vous. Ils se plaindront à longueur de journée : « Ooor, votre soleil-ci chauffe trop hein. Wèèè, j’ai déjà le mal du pays, il faut que je rentre chez moi. Ekié ! L’huile rouge-ci a un goût un genre comme ça pourquoi ? » A croire qu’un visa étudiant ou bien une bourse d’études donne déjà la nationalité. Et même si c’était le cas, est-ce une raison valable pour renier ses racines ?
Et les Noirs alors ?
Ici, les Noir (e)s , c’est-à-dire ceux et celles qui ne se sont pas éclairci la peau, qui exhibent sans honte leurs cheveux crépus, qui parlent le camfranglais, ne whitisent pas, parlent les langues nationales et acceptent qu’on utilise leurs patronymes pour s’appeler, ceux-là sont considérés comme des villageois, des personnes peu évoluées, réfractaires au développement. Des Noirs, quoi.
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