Ces serpents qui avalent les hommes…

21 septembre 2014

Ces serpents qui avalent les hommes…

Un serpent à l'affût - Crédit photo: www.pratique.fr
Un serpent à l’affût – Crédit photo: www.pratique.France

Il y a quelques temps de cela, une folle rumeur a défrayé la chronique au Cameroun. Il était question d’un homme qui se serait transformé en python et aurait avalé une jeune demoiselle dans un hôtel à Buea. Dès que les habitants de Buea apprennent cela – avec, à l’appui, des photos publiées sur les réseaux sociaux en guise de preuve, ils foncent comme un seul homme pour casser l’hôtel du type d’autrui, eux qui n’ont même pas une chambre en carabote. Je me suis demandé quel était réellement le problème de mes compatriotes dans cette histoire de serpent qui avale les gens. Sérieux, au Cameroun et même en Afrique ça se passe tous les jours devant nous, mais personne ne réagit. Pourquoi donc voulez-vous finir avec l’hôtel du type là ? J’ai essayé de réfléchir à la cause réelle de la colère générale et même des violences et représailles qui ont suivi.

Je me suis d’abord dit que le problème venait du fait que le serpent a avalé une demoiselle : « On est où là ? Est-ce qu’une personne c’est alors les comprimés pour qu’on l’avale comme ça ? » Mais je suis immédiatement revenu sur ma conclusion, en comparant ce fait banal à tous les autres que je vis ou subis au quotidien. Car, oui, chaque jour, partout où je vais, je vois des serpents avaler des gens, des milliers de gens à la fois. Je vois l’occident avaler l’Afrique sans que personne ne proteste. Nos société nationales sont bradées aux étrangers qui en font ce que bon leur semble, mais ça paraît tout à fait normal aux yeux de mes compatriotes. Notre société d’électricité passe de main en main comme un plat d’arachides que des potes se partagent et nous, on applaudit. N’oublions pas seulement que, une fois le plat vide, les potes se séparent en abandonnant le plat. Je vois, chaque jour, la France avaler l’Afrique, au point où nos chefs d’état, insensibles au massacre de leurs propres populations, pleurent comme des madeleines lorsque deux français sont abattus. Et des gens osent se mettre en colère parce qu’un simple python aurait avalé une seule fille à Buea ? Des cas de serpents qui avalent des gens, je peux en citer encore plein. La corruption et les détournements par exemple, ces serpents jumeaux qui ont plus trente ans de long, nous avalent chaque jour avec nos consciences et nous rendent esclaves de l’argent, profiteurs, paresseux, menteurs etc. Un autre serpent qui avale les jeunes Camerounais en masse chaque jour devant nos regards complices, c’est l’ignorance. Faites un tour dans les écoles et constatez ! Des enseignants sans formation et sans vocation qui dispensent des cours sur des notions qu’ils ne comprennent même pas, des élèves incapables de former une phrase contenant moins de cinq fautes (à qui la faute ?), des chefs d’établissement qui mettent plus de 150 élèves dans une même salle de classe et espèrent un rendement, l’Office du Baccalauréat du Cameroun qui force les jury aux examens à « délibérer » à 08/20 (parfois moins) et un ministre qui signe les mutations et les nominations tous les trois mois. Sans oublier des parents qui envoient leurs enfants à l’école comme des soldats allant en guerre sans armes : pas de livres, pas de cahiers, pas de stylos, rien. Même pas d’ambition, ni de plan pour l’avenir. On voit tous ça, et pour nous c’est normal. Ce n’est que le serpent de Buea qu’on veut tuer. Vous voulez même quoi au serpent là ? Mais peut-être que ce n’est pas le fait d’avaler la fille-là qui a gêné la populace de Buea.

Alors, quoi ? C’est le fait de se transformer qui a indigné les braves gens de Buea ? Peut-être que si l’homme-là avait avalé la fille sans se transformer, personne ne serait sorti dans la rue pour protester. « C’est vrai, a-t-on idée de se transformer avant de manger ? C’est un manque de respect pour la personne avalée ainsi que pour ceux où celles qui viendraient à l’apprendre ! » Mais sur ce point également je me permets d’émettre des réserves. Oui, les transformations, ce n’est pas ça qui manque dans notre cher triangle national. Tenez, pour assurer la pérennité du régime des flammes, notre constitution a été transformée. Les grands intellectuels du terroir, autant que les petites gens, en ont fait l’éloge. C’est normal, pour réaliser leurs objectifs de 2035 là il faut qu’ils soient toujours aux affaires. Sinon, qui va réaliser les grands projets structurants du millénaire ? En fait, Je pense que quand il s’agit de transformation, nous sommes spécialistes ici chez nous. Il n’y a pas que le type de Buea là, croyez-moi. Des partis de l’opposition qui se transforment en sous-sections du parti au pouvoir, un parti politique qui se transforme en (parti-)État, l’Onel qui se transforme en Elecam pour à la fin faire preuve de la même incompétence, les bend-skinneurs qui, la nuit tombée, se transforment en voleurs, nos frontières qui se transforment en passoire où Boko Haram et la Seleca viennent dicter leurs lois, des maisons qui se transforment en églises réveillés, les hommes qui se transforment en femmes et qui ne le cachent même plus, etc, etc, etc. Des exemples, il y en a légion. Et tout le monde regarde tout ça, personne ne décide d’aller casser quoi que ce soit, les plus courageux disent « C’est le Cameroun, on va faire comment ? Au moins, on a la paix… » Alors, si c’est le Cameroun, pourquoi prenez-vous la peine de harceler ce cher python, lui qui s’est transformé juste le temps d’ingurgiter sa proie ? Vous voulez l’empêcher de digérer son repas en paix ? Lui aussi, n’a-t-il pas droit à cette paix tant prônée ?

J’ai beau retourner la question dans tous les sens, je ne parviens pas toujours à comprendre pourquoi la population s’est révoltée contre un fait qui pourtant arrive tous les jours au Cameroun depuis plus de trente ans. Laissons le serpent de Buea tranquille, attelons-nous d’abord à combattre les plus gros serpents, les plus anciens, ceux qui chaque jour avalent des milliers de Camerounais à la fois, ceux qui se sont transformés et qui continuent à changer de forme au fil du temps, ceux-là qui ne se cachent pas dans les chambres d’hôtel avant d’accomplir leur sale besogne, ceux-là qui, enfin, conduisent inexorablement le Cameroun à sa perte.

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