L’humour au Cameroun : caractéristiques et conséquences sur le plan éducatif

19 septembre 2014

L’humour au Cameroun : caractéristiques et conséquences sur le plan éducatif

Jean Miché Kankan, célèbre humoriste camerounais - Crédit photo www.nkul-beti-camer.com
Jean Miché Kankan, célèbre humoriste camerounais – Crédit photo www.nkul-beti-camer.com

Qui au Cameroun, jeunes et vieux, hommes et femmes, pourrait prétendre ne pas savoir qui est Jean Miché Kankan, cette icône de l’humour camerounais qui s’est malheureusement éteint il y a quelques années ? Oui, Jean Miché a marqué les esprits, inspiré les jeunes et les moins jeunes, créé un style qui a marché – et qui continue à divertir le public. Avec lui et même après lui, plusieurs humoristes ont émergé, plusieurs styles se sont développés.
Mais, au juste, qu’est-ce qui fait rire chez ces artistes ?

Des noms d’artistes minutieusement choisis

Le premier élément qui attire l’attention du public et le prépare au rire, c’est sans doute les noms d’artistes choisis par nos humoristes. Tenez, nous avons, entre autres : Jean Miché Kankan, Tandandan, Fingon Tralala, Tagne Kondom, Tchop Tchop, Tonton Casserole, Man No Lap, Moussa Jean Kalagan, Massa Yacob, etc. Est-il encore nécessaire de démontrer l’importance du nom de l’artiste ? Le bon produit, paraît-il, se reconnait à son étiquette ; de la même façon, le bon humoriste doit avoir un nom qui au moins fait sourire, preuve qu’il est suffisamment drôle pour faire rire. C’est probablement la raison pour laquelle dans la plupart des noms d’artistes, on retrouve soit des combinaisons de sons dont le résultat est insolite (Tralala, Tandandan, Kalagan), soit des mots en pidgin ou en langue vernaculaire (Man No lap, Big Mami, Big Mop, Tchop Tchop, Fingon), soit encore des noms d’objets, d’aliments etc. (Casserole, Bounga, Condom, Mitoumba).

Le vestimentaire et l’apparence physique soignés

Après avoir choisi des noms ne laissant aucun doute sur leur profession, nos artistes soignent leur apparence. Ceux qui ont le souvenir de Jean Miché Kankan ne me démentiront pas : chaussures de femmes au talon démesurément haut, bas rouges en grosse laine, pantalon trop large, rafistolé par endroits et maintenu au rein la plupart du temps par un morceau de corde ou bien par une vieille cravate, veille veste toute délavée ou pire, barbe négligée et, pour coiffer le tout, un couvre-chef datant de Mathusalem qui a du servir de repas à des rongeurs pendant quelques temps… Il n’avait pas besoin d’ouvrir la bouche pour faire rire.
Cette tendance a été copiée par ses contemporains, mais aussi par les générations suivantes, avec quelques détails en moins, mais toujours est-il que l’apparence physique, l’accoutrement, les accessoires, contribuaient à captiver le public et à le mettre dans la posture de celui qui va bientôt rire.

La langue, arme ultime de l’humoriste

Le troisième élément de la panoplie de nos amuseurs, et peut-être le plus important, c’est la langue. Sur ce point également, les artistes humoristes camerounais sont unanimes : pour faire rire, il faut savoir quoi dire, mais aussi comment le dire. C’est ainsi que dans la plupart des sketches produits par nos artistes locaux, on remarquera certains points sur lesquels les artistes mettent un accent particulier :
– L’intonation : certains groupes ethniques au Cameroun semblent caractérisés par une façon particulière de prononcer certains sons, certaines lettres. Les artistes insistent donc sur ces particularités. On pourra ainsi facilement reconnaitre le personnage bamiléké à sa façon de transformer les ‘r’ qui se trouvent au milieu des mots en ‘k’ et à insérer des ‘que’ à tort et à travers dans les phrases (il est que venu me voir à quatokze heures), le bassa à son incapacité à prononcer le son ‘u’ qui devient ‘i’ et le ‘e’ qui reste ‘é’ (lé bifflé), le nordiste en général à son incapacité à prononcer les son ‘v’ et ‘u’ qu’il remplace par ‘w’ et ‘i’ (la watir), le béti  à  sa façon particulière de parler français – ici chez nous, on dit qu’il parle français en éwondo.
– L’utilisation de mots tirés des langues nationales : pour renforcer l’effet hilarant de l’intonation, il n’est pas rare de voir un humoriste insérer dans ses dialogues des mots tirés des langues vernaculaires pratiquées au pays. (Gue gue kaa be, tu chekche quoi ?)
– Le registre de langue : un autre constat que nous pouvons facilement faire en écoutant les productions de nos artistes, c’est que le français utilisé dans ces œuvres est loin d’être irréprochable. Les personnages, pour être drôles, ne se retiennent pas d’utiliser « lui » au lieu de « le » ou « la », et commettent délibérément d’autres fautes de nature à déclencher l’hilarité chez le public.
Après cette tentative – maladroite– d’énumération des particularités de l’humour camerounais et des techniques utilisées par les artistes pour développer leur art, essayons de voir comment leur message est reçu par le public, et surtout quel impact le message transmis par les sketches sur le plan éducatif.

L’humoriste : un modèle, un éducateur

L’humoriste, comme tous ceux qui pratiquent des professions qui les emmènent à être face à un auditoire (enseignants, journalistes, musiciens,etc.), sont des modèles. Leur style sera la plupart du temps imité, leurs histoires drôles racontées à d’autres, leur façon de parler copiée, leurs chansons fredonnées…Et c’est là que le bas blesse.

La tendance générale, nous l’avons dit, c’est l’utilisation d’un langage douteux pour s’exprimer dans les sketches. Pour des adultes avertis, c’est amusant, sans plus. Mais qu’en est-il des jeunes apprenants qui sont encore en train d’apprendre ou d’acquérir la langue française ? Ce qui est sûr, c’est qu’ils iront imiter ces artistes qu’ils adulent. Il n’est pas rare, de nos jours encore, d’entendre des jeunes parler comme Fingon Tralala ou Tagne Kondom, de les entendre utiliser des expressions propres à tel ou tel humoriste. Certains enfants même essaieront de marcher, se vêtir, être comme eux (qui a oublié la fièvre déclenchée par la démarche atypique du fameux sorcier Eza Boto ?) Donc, si l’artiste imité fait des fautes – volontaires ou pas – dans ses productions, il y a de fortes chances pour qu’une bonne partie de la population jeune se retrouve déroutée.
L’humour est sans conteste un moyen efficace de critiquer et d’éduquer la société en incitant au changement positif, à l’amélioration. Les artistes se servent du rire pour dénoncer. On a rarement envie d’imiter celui dont on s’est moqué dans une histoire. Jusque là, pas grand-chose à redire, car dans leurs sketches, nos humoristes montrent que la vertu, l’honnêteté et le travail ardu doivent primer sur la paresse, le mensonge, etc. Mais comme nous l’avons noté plus haut, la manière de dire compte, et la volonté de divertir le public ne devrait pas primer sur la nécessité de montrer le bon exemple aux jeunes citoyens en quête de repères solides et de modèles fiables. L’artiste est un éducateur et chaque sketch devrait être, en plus d’une leçon de vie, une leçon d’expression orale, de grammaire, de vocabulaire.

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Commentaires

Joseph TALLA KUETCHE
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très heureux de vous dire que l'humour est le premier éducateur dans le monde entier. Je suis d'ailleurs fier d'en faire partie. 677 467 967 / 699 241 920

Fotso Fonkam
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L'humour n'est un éducateur que si les humoristes s'expriment correctement dans leurs productions. Si ce n'est pas le cas, l'humour deviendra plutôt un frein à l'éducation.

En tant que humoriste, j'espère que vous prenez la peine d'éduquer votre audience (petits et grands).